Armel Job, Une drôle de fille, roman, Robert Laffont,2019

On pourrait appliquer à Armel Job ce que Giono dit de l’un de ses personnages, dans Un roi sans divertissement:: profond connaisseur du coeur humain. Mais pas n’importe de quel coeur: ardennais, bien sûr, autant qu’il est possible de l’être. Mais cela ne signifie pas, loin de là, fermé à l’extérieur, éloigné d’autres populations. Je suis sûr que les paysans de la Forêt Noire ou du Cantal ont beaucoup de traits communs avec nos Ardennais. Ici, de plus, il s’agit d’une drôle de fille: retardée si l’on veut – elle lit et écrit avec peine; Elle a vécu un chemin de vie très douloureux. Mais elle a une voix extraordinaire, Est-ce que le Stille Nacht, interprété par une jeune fille à la voix de soprano bouleversante, dans une bourgade ardennaise, peut déclencher d’extraordinaires catastrophes, chambouler la vie de ces paisibles citoyens?  Mais oui, bien sûr. Rappelez-vous le début de l’Iliade: Chante, ô Muse, la colère d’Achille…et une captive, qui passe de mains en mains, en vient à déclencher d’effroyables combats. Eh oui, le calme illusoire des paysages tranquilles…

Et Armel Job excelle à décrire jusque dans ses moindres détails la vie quotidienne de ce foyer, et de quelques autres. Les cancans. Les haines. Les envies. Les jalousies. Car tel est bien le ressort…Et puis, l’insatiable désir des hommes, de génération en génération…Mais je ne vais pas  tout vous raconter, car le suspense, ici, compte pour beaucoup…

Et Dieu, me direz-vous? Car c’est dans son église, à Noël que tout a commencé? Eh bien, Dieu, il est là-haut, et Armel Job, p.124, n’hésite pas à nous donner son point de vue: Ceux qui la contemplent avec le plus de ferveur – mis à part les yeux de Dieu – ce sont les myopes de Madame Michaux assise heureusement au premier rang des femmes, juste derrière les enfants. Et déjà, p.122: Aussi est-ce bien le moins que Dieu soit là pour tendre l’oreille, même s’il n’est pas dans Ses habitudes de répondre. Sacrilège, Armel Job? Mon Dieu, nenni. C’est simplement que Dieu a de l’humour, lui aussi, sans quoi il ne serait pas le Bon dieu. Et je songe ici à cet humoriste anglais, ami de Virginia Woolf, qui après avoir couvert d’éloges le cardinal Newman, dont il écrivait la biographie, termine par une petite phrase innocemment banale: Il adorait les caramels mous. Armel Job, lui aussi, pratique ce genre d’humour, mi-figue mi-raisin. Une façon de prendre du recul par rapport à ses personnages. Et l’Ecclésiaste fait de même, et le Livre de Job. Mais, encore une fois, je ne vais pas déflorer l’histoire, cela gâcherait votre plaisir. Disons seulement, pour rester dans le ton, que quand les pères ont bu du verjus,…et aussi, à l’instar de je ne sais plus qui, que si j’étais Dieu, j’aurais pitié du coeur des hommes…Car la jalousie et la pitié, quoi que l’on puisse en penser, et nous en faisons tous les jours l’expérience en nos propres sentiments, sont des soeurs quasi jumelles…

Joseph Bodson