Laurent Robert, Sonnets de la révolte ordinaire, éd. Aethalidès, Freaks, 2020, 144 pages, 16  €.

J’ai dit, à l’occasion de ses précédents recueils, tout le bien que je pensais de Laurent Robert, de son style et de ses oeuvres. Si je suis un peu plus réticent aujourd’hui, cela ne remet nullement en cause.son talent, toujours aussi grand. Bien sûr, il s’agit ici de sonnets,l’une des formes littéraires les plus anciennes  dans notre civilisation gréco-romano-chrétienne. Bien plus ancienne même que les haï-ku du Japon. Il fait d’ailleurs suivre ses poèmes d’une étude remarquablement documentée et savante sur l’histoire du sonnet, plutôt mouvementée: le sonnet, c’est un peu comme les auberges espagnoles, on n’y trouve que ce que l’on y apporte, l’agencement des strophes et des rimes  y varie à l’infini, et rares sont les poètes qui ne s’y sont pas risqués, jusqu’au très sage Péguy lui-même, qui l’a enchâssé dans ses très longues litanies.

Qu’il y fasse allusion à de nombreux noms de lieux, cela ne me dérange pas du tout, à commencer par celui de Wasmuël, où il signale l’absence de magasins (c’est le cas de bien des villages wallons, à commencer par le mien, qui comptait 800 habitants quand je l’ai quitté) Mais Wasmuël avait une autre particularité, c’est qu’à la première élection qui suivit la guerre, le parti communiste y remporta non pas la majorité, mais la totalité des suffrages, y compris celui du curé. Il est vrai que c’est une gloire un peu passée…

Il cite aussi un nombre fort élevé de poètes, dont la plus grande part sont inconnus du grand public, et même du lecteur de poètes pas trop spécialisé…

La quatrième de couverture fait bien état de tout cela, ainsi que du côté un peu libidineux de ses textes, ce qui ne me dérange pas trop, non plus que ces termes que l’on remplace d’ordinaire par des petits points (qu’est-ce qu’ils vous ont donc fait, maîtres censeurs, les petits points? pourquoi pas des tirets, ou des tirettes, ou des points d’interrogation, d’exclamation fulminatoire, ou des parenthèses cache-sexe, ou mieux des crochets – déposez votre falzar avant d’entrer céans…Il est vrai que c’est tout de même un peu macho, me semble-t-il, ces passages…

Mais soyons sérieux. Justement, ce qui m’ennuie un peu, ici, c’est le trop de sérieux. Q’il ne faut pas, me semble-t-il, prendre trop au sérieux. Il y a là, me semble-t-il, une feinte. Un manque, si vous préférez. Il est bien vrai qu’il est docteur, si je me souviens bien, en philologie romane. Mais notre société quasi féodale, depuis le Moyen-Age, décerne ce titre à des jeunes gens qui ont passé les plus belles années de leur jeunesse à potasser Lanson  et Roland Barthes, avec tout juste l’espoir de succéder un jour à un maître qu’ils assistent, et qui parfois les exploite. On n’ose imaginer une pareille situation offerte aux chercheurs en biologie moléculaire ou en électronique sociétale. Alors, quid de toutes ces énergies gaspillées? Sommes-nous toujours en plein Moyen-Age, en régime corporatiste? Ou bien faut-il incriminer encore une fois une société suceuse de variétés avariées? Que Laurent Robert m’excuse pour cette lance brisée, qui n’est qu’un signe de piste. Son titre, d’ailleurs, le dit assez. Il est vrai qu’à différents endroits de son recueil il m’a semblé percevoir une sorte de spleen, d’ennui mêlé de désespoir,  loin de toute pose, un taedium vitae derrière lequel se tient tout un réquisitoire. Mallarmé l’avait dit déjà, à plus d’une reprise,et l‘aboli bibelot d’inanité sonore, à certains moments, pèse autant que le caillou de Sisyphe.

Ceci dit, il faut reconnaître sans restriction la perfection formelle de ces sonnets:ils sont bien faits pour dérouter le lecteur et retenir son attention, les enjambements sont dignes de Victor Hugo, le sexe, affriolant, vous guette au coin de plus d’un tercet – même si la chair est triste,  hélas, et j’ai lu tous les livres.. Et je ne voudrais pas vous quitter, sans vous y faire goûter (c’est des sonnets que je vous parle,bien sûr, et non de la chair – mais l’un n’empêche pas l’autre):

Après:

Sur quoi puis-je régner en maître? / A défaut de subtilité/  Charme futile de l’été / Dans l’entre-deux se trame l’être // Pour le chien philosophe au mètre /  Qui pond des kilos de vacuité / Je me repais de la clarté / Du jour fendillant la fenêtre // Idoine à la contemplation /  De la tendre et rose succion / D’une peau à peine hâlée // S’amusant du fouillis des draps / Ce fut sonnet ou opéra / Sel de la sueur en allée.

 

Joseph Bodson