André Doms, Entre-temps(*) 

André DOMS est un auteur fécond. A peine a-t-on parlé d’une de ses œuvres qu’une autre tombe sur le bureau, qui requiert votre attention. D’où lui vient cette abondance ? De l’urgence. L’urgence de vivre quand par trois fois l’on est venu à sa porte frapper du heurtoir.

« Trois fois qu’elle frappe à la porte. Je réponds si bas, si rauque qu’on distingue à peine. Ne pas sortir par ces temps d’enflure et d’emphysème ».

Le poète comme de raison n’est pas pressé. Il aime la vie par-dessus tout à la faveur de son Hélène qui lui est source de jouvence.

« Entre-temps j’habite, mieux je crois, une maison lumineuse en toi ».

Au fronton de ce volume est frappée cette épigraphe dédicatoire : « A celle qui conjugue mon verbe ébloui ». C’est dire. Ce livre est un recueil de notes illustrées de gouaches par l’artiste Roger Bertemes. Des notes qui se présentent sous forme de poèmes en prose ; des poèmes en prose qui se succèdent sous forme de notes. Cet ouvrage est une somme dans l’œuvre profuse d’André DOMS.

Arrivé, (où, à l’Académie ? Au cimetière ? demandait sarcastiquement Mauriac), à un âge que l’on dit grand, (« Je suis un cœur qui s’arrête vers neuf fois neuf ans »), le poète n’est point désabusé en dépit qu’il porte sur le monde, la vie, sur lui-même, un regard lucide et acéré :

« Sourd à la frime, drôle quand l’œil se mouille, sage du bout des lèvres, tiendrais-je le rôle pour l’honneur ? Perdre le paysage et la face. A quoi riment des heures terrées ? Partirais-je à la cloche de bois, Apollinaire ? »

Il faut prendre le temps de lire ce recueil écrit dans un style ayant de longtemps fait table rase de la vieille syntaxe classique, pour ne laisser subsister que l’essentiel : vivre, à l’infinitif, voire à l’impératif, autant qu’il est en soi.

Le vieux tribun connaît des revifs d’éloquence pour invectiver contre le monde qui n’est plus le sien. Non point qu’il soit à plaindre. Bien établi dans sa partie, notable des Lettres, il n’est fondé à dénoncer aucune ingratitude. Cependant, de même que l’on peut être démocrate et critiquer la démocratie, parce qu’elle n’est pas aussi parfaite qu’on le voudrait, de même on peut aimer le monde et le critiquer parce qu’il a cessé d’être le monde construit à son échelle de valeurs. Le ton, alors, se fait cinglant :

« Et on applaudit bien fort ces génies fabriqués pour vous, cher public, comme si vous en étiez. Tous goûts et dégoûts, le classique est partout ! Pourquoi vous chercher ? On vous trouve. En nos cirques, « tout n’est qu’ordre, luxe et quantité ». Défoulez-vous, pas de risque Show non stop avec effroi mystère, sexe obélisque, sectes et insectes, tout compris… Entrée libre. Sorteurs garantis. »

« Entre-temps » est une composition brillante, un ouvrage cousu de confidences masquées par une invention verbale à toute épreuve, et zébré d’éclairs, jeux de mots, détournements de sens, calembours, trouvailles, qui se témoignent d’une belle verdeur d’esprit. 

                                                                                                  Marcel DETIÈGE

 (*) Ed. L’herbe qui tremble