Anne-Marie Derèse, La Belle me hante ,  poèmes , préface d’Anne-Michèle Hamesse ;  illustrations de Michel Cliquet.

A l’instar des N.D.E. observant leur corps de l’extérieur et revenant à la vie, Anne-Marie Derèse s’observe tantôt en animal griffus, tantôt en douce pelisse, à moins qu’il ne s’agisse d’un transfert d’autrui devenu en quelque sorte un autre elle-même, une sorte de présence fusionnelle : « Je me penche le pardon sur les lèvres/ je ne peux la toucher/ ultime sacrilège. Elle dormira le temps de réparer/ son corps avec le miel/ coulant de la ruche ».

La fausse blessure devient une sorte de rite de guérison de passage d’un monde à l’autre, d’un autre elle-même caché ou parti Dieu seul ne sait pas où :

« Dans la crypte sombre/ te voilà endormie/ dans le silence de mes lèvres déchirées ».

Une image très amoureuse et sensuelle transparait de cet étrange monde où « Elle est de celles qui s’ouvrent », cri-vecteur assumé avec une certitude établie d’observer « cette déesse tombée dans les plaies/ pourries des hommes/ Nue sur le sable ».

Dans cette invitation à être vraiment, il y a une sorte d’interpellation à vouloir partager l’expérience, aussi un soupçon de compassion : « Suis-je la belle qui me hante ? » nous met sur une sorte de fausse piste puisqu’elle-même en ignore sans doute tout.

Une sorte de tragédie du corps rend pourtant la fête musicale sans pourtant parler des oiseaux tout en les évoquant, ce qui ajoute à l’ambiguïté ambiante du message.

Mais…est-ce bien un message ?

Certes celui d’une certaine féminité exaltant le courage : « La mer comme une mère nous porte/ses présages ont flétri nos chemins » ou « la femme lapidée tombant (tombe) sur son sol natal » en faisant état, avec aussi cette grandeur d’âme suscitant la protection : « Ferme tes vertèbres/ sur ce cœur qui bat/ Unissez-vous telle une glaise/durcie au four ».

Une sorte de beauté possessive semble parfois s’emparer des corps, de la beauté sensitive et parfois sensuelle jusqu’à universaliser le sujet aux grands thèmes : préservation de la vie sauvage quand « l’herbe frémit devant la vision » avec quelque chose de messianique dans le ton, la poète rendant ses idées chamaniques.

La Belle serait-elle présence, souvenir diffus suggéré par les sublimes photos de Michel Cliquet hantant le texte d’un flou ravageur accompagnant la complexité de la sensation ?

Texte très « jeune » avec l’intense soif jouissive d’être presque au-delà des limites du possible :

« Je suis de celles qui sont vides/ et pourtant mon amour flambe », dit l’auteure et pourtant nous reste cette impression d’accomplissement total, d’une sorte de mission annonciatrice très réussie dans des présences à la fois multipliées et aussi très personnelles quand on croit découvrir une ombre entre les lignes.

Un grand texte d’une poète majeure à choix multiples, confirmant, ici encore, son grand talent.

Patrick Devaux