Chawa – François Salmon, « À la tombée du vent », Merlin, Les déjeuners sur l’herbe, coll. Aparte, (2022, 56 p. 20€)

COMMENT CONTESTER UN DESTIN IMPÉRATIF

Duo de créateurs de Wallonie picarde, Chawa (dessinateur) et François Salmon (écrivain) ont mis en images une nouvelle qui tient à la fois du fantastique et de l’observation des humains confrontés à la solitude.
On comprend, dès la première pleine page, que cet album sera lumineux. Ses couleurs baignent dans une atmosphère de clarté tranquille. Le paysage ouvre sur des horizons de derrière les montagnes et le personnage qui s’y inscrit au cœur d’une succession de plans de verdure est seul à en jouir. En quatre cases, le quotidien de cet homme est esquissé. Il est passionné par les plantes. Cette tranquillité sereine qu’il affiche se voit soudain bousculée par un parapente qui déboule en plein ciel avant de tomber pas loin de la maison.
Finie la tranquillité. Cet incident va transformer l’existence de cet ermite d’aujourd’hui, de ce sédentaire intraverti. Le voici confronté à une jeune fille qui a la bougeotte, qui vagabonde d’un continent à l’autre avec son parapente, à la recherche de vents susceptibles de lui permettre de gouter l’espace, de défier la pesanteur.
Un homme. Une femme. Le désir. C’est désormais une vie de couple. Le sédentaire et la globetrottrice partagent. Mais voyager est une addiction. Elle propose à son présentement partenaire de l’accompagner ailleurs, de devenir voyageur à son tour. Quel destin choisir ? Tel sera le dilemme à résoudre. Jusqu’à l’inattendu de la fin, de la… chute.
Chawa se cherche. Son trait ne se départit pas encore d’une certaine raideur des corps et des vêtements. Sa mise en page est variée. Son apparence est là pour dynamiser la lecture. Les cadrages se diversifient. Format portrait et format panoramique permettent des plans renouvelés. Certaines cases empiètent sur d’autres, créant une distorsion d’espace. Parfois, comme au début, une pleine page joue les plans rapprochés. Il arrive qu’une main géante traverse le temps, s’insinue dans le mental du personnage central, reprennent vers le lecteur une action traduisant un écho de geste. Des actes s’étagent en vrac, de guingois, disant des corps qui se donnent. Un certain nombre de plongées et contre-plongées offrent au regard des angles neufs. Une onomatopée s’enfuit hors page.
Les phylactères n’envahissent pas. Ils apportent les mots nécessaires sans surcharge. Ils sont au service de l’histoire imaginée par François Salmon. Sans redondance avec l’image. En soutien jusqu’à cette fin que le destin propose en choix délicat, insolite, provoquant.

Michel Voiturier