Christian Quinet, 14-18, Ca s’roût l’ dèrnière, A la mémoire d’Omer Lefèvre, Mouchon d’Aunia éditions. 2019

Un livre en wallon du Centre, qui pourrait servir de conclusion, ou de baisser de rideau si vous préférez, aux nombreuses évocations de ce conflit qui a conditionné tout l’avenir de nos régions.  Des poèmes en wallon du Centre, de la région de La Louvière, accompagnés de leur traduction en français.. Des évocations de la Grande Guerre, il y en a eu de toute sorte: guerrières, officielles, pacifistes, émouvantes, comiques même parfois…Celle-ci joue sur plusieurs registres, à la fois grave et familière, du fond du coeur et au ras des pâquerettes – des coquelicots, en l’occurrence. Ce qui lui donne un ton unique, d’authenticité véritable: car le coeur de l’homme – et de la femme – est ainsi fait, bien sûr, qu’il peut vibrer à plusieurs unissons. J’ai lu, je crois, la plus grande partie des oeuvres de Christian, mais s’il fallait en élire une, c’est celle-ci que je choisirais, pour cette raison précisément: l’adéquation quasiment parfaite de l’auteur au sujet qu’il traite.

Ainsi, Omer Lefèvre El tèlègrafisse: quoi de plus navrant que le sort de ce jeune homme: Su l’ plaque d’ène rûye,/ in nom d’ome, // qu’on n’ lit pus, / qu’on n’ vwat pus / qu »on n »dit pus / qu’on n’ sèt pus // L’a-t-on jamés seû? Un jeune homme, membre de la Résistance, arrêté pour espionnage, qui ne dira pas un mot, avant d’être fusillé. L’officier allemand qui commandait le feu lui fera rendre les honneurs. Il n’aura pas connu le temps des cerises, cette année-là. Et Christian Quinet continue:

D’vant l’ guère dès bales, / il-avoût gangni / l’ ciène dès mots d’ pés . / Il-in mitrayoût ‘ne kèréye / pus râde qu’in canon / n’imprime ène rafale (Avant la guerre des balles / il avait gagné /  celle des mots de paix. / Il en mitraillait une charretée / plus vite qu’un canon / n’imprime une rafale).Il avait en effet gagné, à Turin, un concours international de télégraphie.

Et le poème se termine simplement par son nom: I s’aploût Omer.. Il n’y a, dans tout ce texte, pas un seul mot de trop, et c’est cela même, voyez-vous, la vraie poésie: celle des mots simples et justes, par où l’émotion passe, sans cris, sans gestes, par la seule force, la seule justesse des mots. Chapeau bas, messieurs les poètes!

Et je m’en voudrais de ne pas citer, en terminant, ce texte superbe, célébrant le rôle des femmes, remplaçant leur mari, qu’il s’agisse de conduire un tram, ou de gérer une ferme. Un véritable bond en avant pour la condition féminine:

Fèmes al piquète d’in nouvia djoû...(Femmes à l’aube d’un jour nouveau)

Quand lès clokes, mambournéyes, ont djumi leû tocsin,/ èst-ce Dieu ou biJaurès- crètant l’ crombe zine dès-omes – / qui a sounè, pour lèyes, l’eûre dè voler d’ leûs plomes? / Pus râde leû vréye nature a-t-èle  oûsu s’ kèmin.

(…) « Èl feume èst l’av’ni d’ l’ome » – Louis Aragon.

Quand les cloches, brutalisées, ont gémi leur tocsin / est-ce Dieu ou Jaurès – frappant (avec un gourdin) / la bancale lubie des hommes / qui a sonné, pour elles, l’heure de voler de leurs plumes? / Plutôt leur vraie nature a-telle osé son chemin.

(…) « La femme est l’avenir de l’homme » (Louis Aragon)

Joseph Bodson