Colette Nys-Mazure Sans crier gare éditions Invenit coll Déplacement (09/2023,68 pages, 13 euros)

Avec ce carnet qui a tout d’un « carnet de voyage », la poète Colette Nys-Mazure file bon train vers ce qu’elle observe, si pas journellement, assez souvent , entre salles d’attente, quais et dans le train lui-même tandis que se révèle toute son humanité d’observatrice avertie : « Avant même d’atteindre le quai/ m’assaille un souvenir/Sous les voies une fille émaciée/ encadrée de deux chiens tendait la main/A peine le TER avait-il pris de la vitesse/choc brutal/Le pouls du train interrompu le mien aussi/Sidération jusqu’à l’annonce grésillante/ Accident de personne ». L’écrivaine chante sa passion des gares entre la Belgique et les Hauts de France, les visages et paysages se révélant avec la progressivité des parcours et des présences.
On aura compris que l’écriture elle-même se veut en mouvement à vouloir évoquer le quotidien en déplacement tandis que les bruits de la machine elle-même sont bien présents et bien exprimés : « La voiture caisse de résonance/où prédominent voix pointues/grasses éraillées stridentes/S’entremêlent tendres chuchotements/bavardages exclamations jurons corsés ».
Entre complicités et regards échangés, Colette aura dosé les situations avec brio emmenant avec elle le lecteur : « Comme au cinéma dans le cadre fixe de ma fenêtre/ Je me hâte d’épingler les échafaudages de nuages/Fils électriques chevaux en pâture/vaches curieuses/Ruisseaux gonflés jardins ouvriers/cabanons et nains » .
Les mots passants lui laissent à l’oreille ces échos entendus en autant de caractères exprimés en phrases courtes révélant les questionnements possibles et ce qu’il reste « de ces trajets en train domestique (ir)régulier menacé » : « Courtois /Puis-je passer/ Cela ne vous dérange pas/ Prenez ma place je vous en prie/Voulez-vous une pastille pour la gorge/Laissez je m’occupe de votre valise/Je vous aide à descendre ».
On a parfois cette agréable impression de mélange d’époques différentes quand la poète se veut disponible pour autrui et pour elle-même : « Être là cependant/Prête à la rencontre la prise de contact/Et parfois le souhait de m’isoler/de me tenir sur mon quant à moi/ de travailler lire/Rêver m’égarer/M’aérer échapper à l’étouffement ». Tout est dans la manière de voir, de regarder.
La disposition des textes, sans ponctuation, accentue le mouvement et, en quelque sorte la prise de décision à emmagasiner, sans doute, les faits divers, les séquences toutes dignes de la conception du scénario, Colette sachant également saisir la modernité : « Sous mes yeux s’esquisse/ un coup de foudre une passion/Me parviennent les médisances/ de copines traîtresses/ Envie de leur assurer/qu’ailleurs quelqu’un dit d’elles/ Des méchancetés analogues/ Tandis que les obscénités agressives/ de quatre jeunes mecs/ Niquant à tours de langue me révulsent ».
Faire coïncider ainsi la langue et la vision du monde m’a fait penser à Georges Linze que j’ai eu le plaisir de croiser dans mon jeune temps lors d’une séance du GRIL de feu Paul Van Melle.

Patrick Devaux