Corinne Hoex, Nos princes charmants, récits, Les impressions nouvelles, 2023, 112 pp, 14 €.
Décidément, Corinne Hoex nous étonnera toujours. En ce recueil de récits, elle pratique un humour qui lui est propre, bien loin du comique troupier (encore que, parfois…mais c’est la vie qui est comme ça), bien loin de l’ironie et de l’indignation (encore que, parfois…). Je la vois plutôt du côté de Lytton Strachey, qui, dans ses Victoriens éminents, termine un long éloge du cardinal Newman, célébrant ses vertus apostoliques, par une courte phrase assassine : Il adorait les caramels mous . Ou bien même de Jonathan Swift qui suggérait, lui, dans sa Modeste proposition pour empêcher les enfants d’Irlande de mourir de faim, un recours délibéré au cannibalisme.
Le titre même du recueil est un indice déjà très révélateur : Nos princes charmants. Comme bien l’on pense, ils vont en prendre pour leur grade, les princes charmants…et là, le comique troupier est bien de mise. N’écoutez pas, messieurs, et excusez moi de me mettre à part du troupeau, de vous lâcher un peu : c’est l’un des privilèges du critique.
Privilèges du prince charmant : oisif et désoeuvré , s’épaississant d’année en année sous ses chemises cintrées (p.7), poète dans l’âme, surtout quand l’inspirait une jolie femme (p.12), coiffé d’un panama, vêtu d’un bermuda à rayures et paré d’un vaste polo voué à dissimuler ses rondeurs de sédentaire (p.18), attablé à poil devant sa langouste au milieu de la chambre, panse débordante, virilité blottie sur le velours du fauteuil, crâne répercuté de dos, de profil, de trois-quarts par le jeu des miroirs (p.25), Des Marilou, il en a dans toutes les villes où il voyage pour ses affaires, à Zurich, Düsseldorf, Bratislava, Oslo (p.26), ses manies de vieux garçon (p.62). Et, de plus, ils les appellent ma poule, poussin, choupinette, mon petit chat…
Bien sûr, il en est sans doute parmi vous, mesdames, qui tueraient pour moins, et le jury ne manquerait pas d’accepter les circonstances atténuantes. Si je ne vous cite que de minces portraits et de langoureux sobriquets, c’est pour ne pas vous dévoiler les intrigues : elles sont d’une complexité remarquable. Des crimes, rassurez vous, il y en aura, et parfois d’une cruauté raffinée, d’une infernale ingéniosité même. L’imagination de l’auteure joue ici à plein, et l’on concédera sans peine, après l’avoir lue, que le crime est l’un des beaux-arts. Il en est même qui planent dans la virtuosité. Ces ripostes, ces vengeances couvent parfois longtemps, et, comme dit un proverbe latin, si toutes blessent, la dernière tue. Sans pitié.
Mais une surprise vous attend au dernier tournant du dernier récit. La naïveté, la sottise existent aussi de l’autre côté de la barrière, et reçoivent elles aussi leur récompense, même si c’est au figuré.
Il n’empêche, messieurs : il est temps de battre notre coulpe, avant que les couples ne se fassent dévorer par les poulpes : ces princes consorts, affalés dans leur fauteuil, une bière ou un whisky à portée de la main, adulés, flattés, et servis comme des satrapes…ces doux noms d’oiseaux qui conduisent tout droit à la casserole conjugale…vous ne nous reconnaissez pas ? Avec des nuances, bien sûr, et des circonstances atténuantes…c’était vous…c’était moi…Allons, un dernier effort…nos princesses n’attendent que cela, et n’en seront que plus charmantes…
Joseph Bodson