Dominique Heymans, Pleuves, poèmes, Tétras-Lyre, collection De Wallonie, 2018, bilingue wallon-français.

Un recueil à marquer d’une pierre blanche, et qui, espérons-le, sera le premier d’une longue série.

Pourquoi? Comme le dit la préface: La collection de littérature bilingue « De Wallonie » est une initiative des éditions Tétras-Lyre soutenue par la Direction des Lettres et le Service des langues régionales endogènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le but: remédier à la méconnaissance de notre littérature wallonne auprès du public qui devrait être le sien; peu de gens lisent le wallon, et bien souvent, les œuvres publiées le sont uniquement en wallon, par une sorte de repli frileux, qui a pour conséquence d’enfermer notre littérature dans une sorte de ghetto. La littérature en wallon, la littérature en français, dans notre communauté, forment le plus souvent deux mondes étanches. C’était un pari à faire: y a-t-il, parmi le lectorat en français, suffisamment de gens disposés à lire des œuvres en bilingue. Pour ma part, j’en suis persuadé. Il y aura, bien sûr, le problème de la diffusion. Mais l’expérience valait d’être tentée.

Et c’est une chance, et un vrai bonheur, qu’elle débute avec ce recueil Pleuves, de Dominique Heymans, lauréat du prix triennal de littérature en langue régionale endogène (il paraitra dans la collection deux volumes par an, l’un, réédition d’une œuvre notable, en bilingue, et l’autre, consacré à une production récente).

Certains – il faut s’y attendre – qualifieront cette œuvre de minimaliste – un terme galvaudé, qui ne veut à peu près plus rien dire. Non, en fait, Dominique Heymans est un grand sorcier, capable de changer  en poésie, et chargée d’une haute teneur de densité poétique ce qui n’est pour la plupart des gens qu’une gêne, un inconvénient. Non, la pluie, c’est bien plus que la pluie. Haute densité poétique, mais aussi un long passé rituel. Aussi bien nos populations, qui avaient recours à tel ou tel saint pour implorer la pluie,  – l’une des raisons de nos marches folkloriques – que les peuplades primitives, qui avaient leurs faiseurs de pluie (c’est d’ailleurs le titre d’un beau film américain). Un grand sorcier, vous disais-je,  capable de transformer la Stilles Regen en une sorte de Stilles Leben.

C’est ainsi qu’il part, parfois, d’un proverbe commun, sous diverses formes, à presque toute la Wallonie. Ecoutez-le donc:

Inmacralâdjes

I plût, i lût,/Lès sorcières son-st-à à Félû/Vût co dire soléy tout cru/N’inscôfe pus èm dûr cabus/I plût, n’ lût pus/Lès sorcières ont disparu/ Mès sorcières nè r’véront pus/Lès côk’mwârs ont stè rwès djûs/I plût, i plût…

Envoûtements

Il pleut/ le soleil brille/Les sorcières sont à Feluy/Veut encore dire soleil mouillé/N’échauffe plus ma tête dure/Il pleut, le soleil ne brille plus/Les sorcières ont disparu/ Mes sorcières ne reviendront plus/Les cauchemars ont été emportés/Il pleut, il pleut…

et le vent, le porte-pluie, fait aussi partie de cet univers sourdement enchanté, et toujours en attente, d’un regain de pluie, d’un amour reverdi. Tot ç’ qui vént d’rif, è r’va d’raf, dit un autre de nos proverbes, et il ne faut pas être grand géomètre pour réaliser que le contraire est aussi vrai:

Dèvise dè clipotia

Vos mè rvérèz/M’n amoûr /Quand m’keûr sè r’sèkira/D’zous lès minteûs solèys //Vos mè r’vérèz/D’dins s’ré sôvè//Vos mè r’vérèz/ Pô vint d’Ecosse

Paroles de girouette

Vent d’Ecosse/Tu me reviendras/Mon amour/Quand mon cœur s’assèchera/Sous les soleils menteurs//Tu me reviendras/Et je serai sauvé//Tu me reviendras/Par le vent d’Ecosse.

Oui, je puis vous l’assurer, Dominique Heymans est un grand sorcier. Un grand sourcier. Même s’il vous regarde, parfois, d’un œil malicieux. Et puis, pour assaisonner son wallon du Centre, il y a cette musique qui nous vient de bien loin, du sud des Etats-Unis, sans doute. et qui a besoin du vent pour fendre les eaux du fleuve.

 

Joseph Bodson