Emile Gilliard, S’apinse Seûr Lidîye, Ratûzadjes dèl dêrène bèguène di Goyèt 2, Dîre èt scrîre è walon, chez l’auteur, 321, rue St Laurent, 4000 Liège.

lydie

Dans le droit fil du premier volet de ce roman (Les djoûs racoûtichenut) , Emile Gilliard continue le récit d’une fin de vie, fin de carrière ou de vocation, si l’on veut: dans le précédent volume, nous assistions au désarroi de Sœur Lydie, esseulée en son couvent de Goyet après le décès de sa dernière consoeur. Ce sont là des thèmes que les auteurs de roman n’abordent pas très volontiers: la vieillesse, le sentiment d’être inutile, parfois même d’assister au déclin d’une civilisation. Mais en même temps, elle avait encore l’occasion de rendre l’un ou l’autre service, elle était encore « quelqu’un » en son village de Rogimont (qui ressemble bien sûr à Moustier comme deux gouttes d’eau). A présent, le monde évolue, l’âge est là qui vous affaiblit, les gens ne font plus guère attention à vous, les autorités communales souhaitent vous voir partir pour utiliser les bâtiments du couvent à d’autres fins – un home pour vieillards, en fait. Elle va devoir s’en aller à Liège, où l’on regroupe les sœurs âgées de son ordre. Le curé, de son côté, va aussi s’en aller, fermer son église…Tout le récit prend ici des couleurs tristement crépusculaires: elle ne se sent plus la force de se rendre dans un quartier d’accès difficile, les enfants se moquent d’elle, tout ce qu’elle avait aimé, respecté, semble se défaire au gré des jours et des évènements extérieurs. L’Eglise elle-même n’est-elle pas en train de perdre son audience?

Et ce sera le départ pour Liège. Un nouveau départ dans la vie, se remettre à étudier? Non, ce n’est pas sa voie. Elle est bien trop proche du concret, du vécu quotidien de son prochain, des petites gens…Et ce sera la rencontre d’Aline, une jeune fille en perdition, qu’elle découvre en une rue abandonnée. Qu’allons nous en faire?, se demande la Supérieure. Et c’est le bon sens, finalement, qui triomphera: pourquoi ne pas utiliser les bâtiments vides de la congrégation comme refuge pour de jeunes femmes en détresse? Ce sera le retournement: partie pour faire place à des démunis, c’est elle-même qui, arrivée à Liège, prend soin d’autres démunis, malgré son âge et sa propre détresse.

On retrouve en ce roman la profonde conviction d’Emile Gilliard: une foi qui est avant tout un acte de charité, qui ne s’embarrasse pas de subtilités ni de faux-fuyants, qui ose regarder en face les problèmes les plus pénibles, remonter à leurs véritables racines: le célibat, la solitude des prêtres, par exemple. Qui ne se souvient du déchirant Journal d’un curé de campagne, de Georges Bernanos? C’est peut-être cela qui manque le plus à notre littérature romanesque, tant en français qu’en wallon: le courage de prendre à bras-le-corps cette société qui nous entoure d’un cocon d’égoïsme et les souffrances qu’elle génère…Nous voilà bien loin de tous les raffinements stylistiques; c’est seulement le rassemblement des bonnes volontés, d’où qu’elles viennent, qui peut, comme le disait Jean Guéhenno, Changer la vie.

Joseph Bodson