Georges Larcin, Dictionnaire français-picard borain, Le trésor lexical du Borinage, Micromania-Lingua, 2021, 1064 pages

Un dictionnaire qui mériterait bien le nom que les philologues d’antan donnaient à leurs travaux de ce genre: un véritable thesaurus. On peut en juger rien que par le nombre de pages…Et il faut aussi en remercier Jean-Luc Fauconnier, qui en est non seulement l’éditeur, mais aussi le maître d’oeuvre.

Si on se réfère à ce qui a été fait pour l’aclot (wallon de Nivelles),  le dictionnaire aclot de Joseph Coppens comporte trois tomes: aclot-français, français-aclot, et un volume de Rvazis (proverbes, sobriquets, expressions populaires); eh bien, ici, vous avez les trois en un seul volume, avec une prééminence toutefois pour le français-borain. Le dictionnaire français-wallon et wallon-français, de Lucien Léonard,, lui, suit un autre principe que l’alphabétique: les mots sont classés par catégories, ou centres d’intérêt (religion, agriculture, beaux-arts…), ce qui présente bien sûr son intérêt, mais ne facilite pas la recherche.  Georges Larcin y a songé aussi, et vous trouverez à la fin du dictionnaire, en partie IV, des Aspects thématiques de notre environnement: monde végétal, fruits…qui constituent ce que l’on pourrait appeler un mini-dictionnaire thématique.

Et pas mal d’autres choses encore…

Mais commençons par le commencement: qui est Georges Larcin? Né à Wasmes en 1939, il fut instituteur, chef d’école, bibliothécaire et secrétaire de la Maison du Folklore de Colfontaine, ce qui explique ses intérêts multiples. De 1971 à 1976, il suivit des études universitaires en psychopédagogie à l’Université de l’Etat à Mons. Il publia, avec Georges Quinet et Yvon Draux La saveur du borain, aussi chez Micromania, en 2012, et aussi des Contes borains, dans les journaux régionaux, notamment dans le Bourdon, et enfin Mes mille premiers mots en picard borain, aux éditions Tintenfass à Heidelberg.

Dans le présent ouvrage, vous trouverez aussi beaucoup de notices documentaires concernant sa commune et sa région, ses proverbes, ses dictions, ses chansons…Avec une rawète, à la fin du volume: deux beaux poèmes de Jean-Paul Caudron: Is d’moront ‘ ô Mar (Mon enfance au Marais) et de Bernard Baumans: Ël Farceûr (Le chemin de mes racines).

Autre point remarquable: le soin mis à rapporter, pour tous les mots français, leurs différentes  significations, même les moins usitées. Comme il le dit lui-même dans sa préface, il a utilisé, pour ce faire, le dictionnaire Robert. Mais, en picorant à gauche et à droite, j’ai trouvé, pour un mot, le mot culot, des définitions qui ne venaient pas du Robert, mais bien du Littré. Celui-ci  reste, malgré son ancienneté, le plus sûr guide, et aussi, faut-il le dire, celui dont le langage est un modèle au point de vue stylistique. Je vous cite, à titre d’exemple (à suivre, et non à éviter) le travail de M.Larcin sur ce mot:

culot, n.m.,

  1. ‘partie inférieure de certains objets’ <Ël cu dël lampe du carbëniér ës’ dèvisse pou r’mète dël wîle>Le culot de la lampe du mineur se dévisse pour remettre de l’huile. ∼culot:>Ël culot d’ène lampe élèctrique ë-st-in cwîve. Le culot d’une langue électrique est en cuivre.
  2. ‘Résidu qui se forme au fond d’un récipient ou d’une pipe’ avinâge/avinange> I fôt skeûde ës’ pipe pou fé dalér l‘avinâje. Il faut secouer sa pipe pour faire partir le résidu.
  3. ‘dernier enfant d’une famille, cadet’ (ë)rculot (è)rculot > Dins lès grandës famîyes, l’ ërculot èst toudis wasté pa lès pus vièys. Dans les grandes familles, le dernier enfant est toujours gâté par les plus vieux.
  4. ‘audace, aplomb’ front > qué front qu’i fôt awo pou dalér dreûbér lès pwâres su lès spaliérs dë m’ gârdégn. Quel culot il faut avoir pour aller dérober les poires sur les espaliers de mon jardin!

N.B.  un hameau ‘quartier, lieu éloigné; en toponymie, le culot est un endroit, un hameau écarté du coeur du village, de l’église’. Le             Culot, quartier d’Eugies, n’a donc pas le même sens que le Cul du Qu’vau. Ce n’est pas un fond de vallée. C’est un quartier éloigné       du coeur du village d’Eugies.

Comme on le voit, il est difficile d’être plus complet Tout au plus pourrait-on noter que ce dernier sens a sans doute donné les noms de famille Culot, Duculot, fréquents en Wallonie.

Et si vous reculez d’une page, vous trouverez un encadré tout aussi passionnant sur Ël Cu du G’vô: Constitué de communs pâturages,  cet endroit appelé le Cul du Qu’vau servait de pâturage d’été (d’estive)  depuis le Moyen-âge, au bétail des villages avoisinants: Jemappes, Quaregnon, Eugies, Frameries.

Il est limité au sud par la grande forêt de Colfontaine, à l’est par la rue de la Belle-Maison (avenue Fénelon actuelle) et à l’ouest, par le fond de la vallée du ruisseau de Colfontaine qui forme la limite avec Wasmes.

Et l’auteur continue en évoquant les conflits entre les Chanoinesses du Chapitre de Sainte-Waudru, propriétaires de l’endroit, et les éleveurs wasmois, pour conclure avec humour: Puisqu’il touche le fond du val, cet endroit aurait dû se nommer Cul du Vau mais on y a ajouté un  Qu’ pour l’appeler Cul du Qu’vau!

Bien sûr, le Borinage des mineurs n’a pas été oublié, lui non plus, dans la foulée du superbe ouvrage que Pierre Ruelle a consacré au vocabulaire des cärbeniérs.

Dans le même ordre d’idées, on trouvera, p. XVII, Une vision d’avenir, par Georges Larcin: un état des lieux de la situation actuelle du parler borain, insistant sur la renaissance des années 1980-1990,avec un bref survol des langues régionales ailleurs que chez nous, et – suite logique, car une renaissance suppose aussi, sans conteste, l’existence d’oeuvres littéraires, la nécessité de nouveaux outils, comme celui-ci, et enfin un chapitre très clair et très étendu sur les règles d’écriture du picard borain. aussi bien à propos de l’orthographe que de la grammaire. Un survol de la littérature boraine, y compris les ouvrages des grammairiens et lexicographes, figure aussi au programme.

Que dire en conclusion? Les sept années de sa vie que Georges Larcin a consacrées à cette oeuvre sont assurément d’un grand profit pour nos langues régionales, et pour les jeunes écrivains qui souhaitent écrire en borain. Pour les simples curieux et amateurs, je l’ai assez souligné plus haut, un tel dictionnaire est comme une forêt balisée,  aux allées bien tracées, mais où il reste possible, quand même, de se perdre et de vagabonder un peu – ce qui est l’un des charmes secrets de tous les dictionnaires, même du Littré si austère.

Un grand merci donc à Georges Larcin et à son auditeur, qui nous ont procuré cette jolie aubaine: on a bié kèyu…

Joseph Bodson