GULDENSPOORLOOS   EPEROAD – MOVIE    traduction Christoph Bruneel

De Lanzedeners ( Peter « Arthur » Caesens & Christoph Bruneel , éditions L’Ane qui butine   ( 2021 ; 29 euros ; 450 pages).

Ouvrage bien belge, EPEROAD- MOVIE est une œuvre allusive pleine de bonheurs variés tel un « tomate-crevettes frites » où on invite à table Ensor ou Jan Breydel (personnage fictif du « Lion des Flandres » d’Hendrik Conscience) car sous le ton du jeu – comme on parlerait d’un tournoi – la sauce renversée devient autre chose que ce qui a été cuisiné :

« Durant la cuisson de la boulette. Le beurre doit légèrement pétiller dans la poêle, après quoi on fait revenir les boulettes. Quand les boulettes ont obtenu leur légère croûte des deux côtés, il nous faut entendre un bruit de grésillement, la rassurante musique culinaire d’un repas parfaitement préparé ».

Par contraste parfois assez saisissant, le propos devient alors plus sérieux qu’il n’y parait quand les auteurs de l’ouvrage font appel à leur évidente culture affirmée : « Ces sons ne fournissent évidemment pas des gammes classiques comme on en retrouve dans la musique diffusée sur la plupart des ondes radio. Ils correspondent aux lois conservatrices harmoniques et mélodiques qui ont déjà été notées par feu Jean-Philippe Rameau (1683-1764) dans son Traité d’harmonie (1722) ».

Le livre est écrit solidairement dans nos deux langues nationales (française, flamande).

Tout motive l’ironie dans une joyeuse observation inventive autant que complètement surréelle :

« L’exemple des Allemands qui mangent les inspire et chacun chacune en absence de maatjes (hareng vierge), ouvre une boîte de sardines ou de pilchards qui leur a été prêtée. Collectivement, ils récupèrent l’huile des boîtes, une action pour le respect de l’environnement, la vendent aux Allemands qui, de cette façon, peuvent cuire davantage de saucisses et que d’un geste généreux ces derniers distribuent gratuitement en cadeau et sans obligation d’achat, d’abord aux Hollandais, puis Japonais, finalement aux passants et à la population locale ».

C’est tellement bien décrit que tout a l’air véridique. Les deux compères revisitent parfois la Grande Histoire, parfois la petite et toutes les formes d’art y passent avec naturellement aussi le théâtre. Parfois en quatre lignes on passe de la farce au sérieux ou au rappel d’une référence culturelle :

  • Faux-Houblon (ndlr ; c’est un personnage), prenant la place du confesseur : Pas de panique, ceci est un bon remède contre le perce-bois et on peut parler de temps immémoriaux. Car le grand péché de nos temps est qu’entre les divers peuples il ne coule pas assez de semences mais beaucoup trop sur les roches et les ruines de la croyance de l’église et du temple. Je t’accorde l’absolution à une condition…
  • Delbrassin  ( ndlr: un autre personnage) : j’écoute mon ami…
  • Faux-Houblon : Qu’on reste fidèle à l’Amour courtois et pré-courtois de Gillebert de Bonneville (XIIIème siècle).

Il y a le rappel de grandes mémoires culturelles, telles celles d’Hendrik Conscience ou Hugo Claus et, en même temps, la bouffonnerie absolue mène certains échanges parfois dans des contextes historiques très réels et convenus.

Une certaine Belgique de la farce est évoquée dans sa littérature, son Histoire et même jusque dans son artisanat : « Delbrassin lit la sobre étiquette bleu clair de la boîte « A –  De Bevere, maison fondée en 1800, fabrique de pipes en terre/…/rue de Menin 58, 8500 Courtrai. Et ajouté à la plume : « Modèle Pipe wallonne ».

Il s’agit d’un gros travail de recherches historiques et conversion en toutes sortes d’avis en réalité très sérieux impliquant parfois la société et ses choix. Tout y passe.

In fine, cela ressemble à un tournoi lexical qui serait filmé le jour de la bataille des « Eperons d’Or » ou encore une autre manière d’appréhender une façon d’écrire ressemblant parfois à  « L’histoire comique de Keiser Karel » du grand Michel de Ghelderode.

Ainsi peut-on croiser également entre ces 450 pages Hugo Claus en « toge romaine au motif léopard flamand » dont les pans sont maintenus par « une fibule en forme de lamellophone » accompagnant une ode à Gérard Mortier ! Une présentation des personnages de cette farce inaugure le livre et nous plonge directement dans le bain ! N’essayer pas de retenir les personnages d’emblée car c’est un plaisir accru de les découvrir au fur et à mesure.

Patrick Devaux