Jacques Vandenbroucke, Milo croque l’Ardenne, Service Public de Wallonie, 2021.

Notre revue a déjà présenté Milo Dardenne, un des artistes les plus populaires en Wallonie, et particulièrement dans les provinces de Namur et du Luxembourg. C’est Jacques Vandenbroucke, historien-archiviste aux Archives régionales de Wallonie, qui revient – et avec quel bonheur – nous offrir un bel album composé essentiellement de croquis, de dessins et de gravures du maître de Houyet. Le titre de l’ouvrage en dit long déjà sur la manière « croquante » employée par le bien nommé Milo Dardenne. Taillé à la hache ou au couteau, le croquis est le moyen le plus direct et le plus frappant pour comprendre et apprécier le travail du peintre : chaque trait, même le plus sommaire, justement appliqué sur le papier, apparaît comme le squelette du tableau qui va suivre. Rien de trop, s’appuyant sur l’essentiel du geste ou sur la membrure d’un paysage, l’artiste saisit l’ensemble avec une vérité confondante et rend déjà très vivante la scène qui ne demande plus que la couleur pour nous enchanter. Quelques lignes synthétiques suffisent pour exprimer l’attitude besogneuse d’un bûcheron ou l’effort d’un cheval de débardage. Tout est résumé ainsi clairement par l’auteur. L’alpha et l’oméga. Le début de la composition, souvent sur place, et l’achèvement, la palette des nuances locales ou des atmosphères forestières dans le secret de l’atelier. On reconnaît ici la patte du peintre sans même chercher sa signature, c’est du pur Dardenne, une production qui sent bon le terroir et traduit toute l’habileté de l’outil.
On a souvent comparé Milo Dardenne à Permeke, le qualifiant même de « Permeke wallon ». C’est aller un peu vite, à notre point de vue. Le Flamand a sa manière bien à lui, extrêmement forte ; ses toiles sont sombres, violentes et les sujets sont souvent déformés, très expressionnistes. Le Wallon est plus sobre, plus réaliste, tout en étant fasciné, lui aussi, par la force et la robustesse de l’homme et de l’animal. Il y a plus de lumière toutefois chez lui, plus de retenue aussi, une sorte de culte pudique voué au travail, à la vie quotidienne. Modernisme téméraire, très charnel et explosif même d’un côté, représentation simple et sobre chez son confrère du Sud. Si Dardenne a été marqué très jeune par l’Ecole de Laethem-Saint-Martin, il est resté fidèle à ses modèles wallons, Albert Raty et Anto-Carte. Les paysages de la Lesse et de la Semois ont de tout autres couleurs que les rudes labourés des Polders ou les sombres marines côtières. La culture, la souche de nos artistes est différente et leur style en témoigne on ne peut plus clairement. Et s’il faut nuancer encore davantage le propos, il suffit de citer un passage de la préface du livre, rédigée par le dessinateur gaumais bien connu, Jean-Claude Servais : L’Ardenne est rude, sculptée. La Gaume, elle, est plus légère, vaporeuse. Nos coups de crayon respectifs démontrent bien cette différence.
Nos racines élémentaires nous ont faits comme nous sommes et les artistes, les écrivains, les poètes et les créateurs de tous poils n’ échappent pas à ce riche et fertile ancrage régional. Et c’est une vraie joie pour tout un chacun de se retrouver à la source de sa propre vie, en compagnie d’un talentueux sourcier.

Michel Ducobu