Jean Collette, Al cwène dès djoûs, poèmes, Société de langue et de littérature wallonnes, Littérature dialectale d’aujourd’hui, Liège, place du Vingt Août, 7, 4000 Liège, 2023, 116 pp,

Comme l’indique la double dédicace, à Jacques Izoard et à Guy Belleflamme, Jean Collette est un poète bilingue, usant aussi bien du wallon que du français. Mais il faut remercier Baptiste Frankinet d’avoir pris l’initiative de cette publication, révélant ainsi non point une sorte de dilettante, mais un poète qui se classe d’emblée parmi les meilleurs.
Une voix unique et inimitable. Unique, par son accent, par l’attention portée aux choses les plus concrètes, aux gestes les plus infimes et les plus intimes. Inimitable, par le voile de tristesse, de regret parfois, qui couvre de ses plis légers chacune de ses démarches, chacun de ses pas sur lès pazès de son enfance. Une enfance non point perdue dans la brume des souvenirs, dans la délectation d’un passé immémoriel, pour ainsi dire, et embelli par les regrets. Un passé constamment alimenté par le quotidien de la vie, revisité et ravivé.
Ecoutons-le plutôt, dans Rien qu’un nom/ Rin qu’on no :
No so ine blanke pådje/ Si no / Là divins on neûr cåde/ Èt portant dji n’ moûr nin so l’ côp / Pê come l’êwe d’on lac di montagne / Oûy dès grands bwès qwand li djoû d’tome / Vinte di låme / Lèpe di fréve / Po t’ ridjonde dji lé t’ no / Disqu’à tronler / Dj’vès d’ombe / Toupe wice qui dj’a måqué mori / P’tit cou d’vins mès tronlantès mins : Pitit picot come on pisti / Èt là tot simplumint dji louke / Èt là dji m’ dimande si c’èst twè / Èt dj’èl sé / Èt t’ènnè vas // Adon dji carèsse di l’êwe
Un nom sur une page blanche / Son nom / Là dans un cadre noir / Et pourtant je ne meurs pas tout de suite / Peau comme l’eau d’un lac de montagne / Œil des grands bois quand l’ombre se déchire / Ventre de miel / Lèvre de fraise / Pour te rejoindre je lis ton nom / Jusqu’à trembler/ Cheveux d’ombre/ Bosquet où j’ai failli mourir / Croupe entre mes mains tremblantes / Petit puceron comme un pistil / Et tout simplement je regarde / Et je me demande si c’est toi / Et je le sais / Et tu t’en vas // Alors je caresse de l’eau
Tout ici contribue à créer la force de l’évocation : la brièveté du vers, mettant en relief un mot, une comparaison ; l’absence quasi totale d’adjectifs qualificatifs ; le mélange subtil des verbes d’action, et le présent de l’action : un monde ainsi créé, où l’action elle-même est la sœur du rêve, où le Cantique des cantiques vient s’échouer sur une plage secrète et désenchantée. C’est du tout grand art.
Il en va de même de la dernière partie, Volà poqwè,/ Voilà pourquoi, tissée d’un unique poème : Moûse èst pris lès batês n’vont pus, Meuse est prise, les bateaux ne vont plus :
È m’ coûr il a djalé à glèce / Qwand cès mots on djoû rouflît djus / Por mi dèl boke d’ine vîle djåz’rèsse / C’èsteût ossi bê qui d’ l’Homère / Dè Turold ou dè Xénophon/Èt dji m’a sov’nou di m’ grand-mère / Ram’tant come zèls…mins è walon / Adon po fé on pô parèy /On pô sins-idéye di grandeûr /Dji m’a mètou à cès rim’rèyes / Veuillez pardonner mes erreurs.
Dans mon cœur il a gelé à glace / Quand cès mots un jour ont surgi / De la bouche d’une vieille commère / C’était beau comme de l’Homère / Du Turold ou du Xénophon / Et je me suis souvenu de grand-mère / Jacassant comme eux…en wallon / Alors pour faire un peu comme elle / Un peu sans idée de grandeur / Je me suis mis à ces rimeries // Veuillez pardonner mes erreurs.
Une vision très exacte de sa propre valeur, de sa propre richesse : dans l’enfance encore d’une littérature, d’une langue. Dans toute la fraîcheur de l’enfance d’une langue, dont les couleurs, les sonorités n’ont pas encore été usées par l’usure du temps. C’est à ce carrefour- là que nous rencontrons le poète, aux côtés de Villon et de Charles d’Orléans. Le temps a laissié son manteau…Frères humains, humbles et parfois incertains, mais combien vivants, dans leur humble simplicité. Et c’est là qu’il a sa place.

Joseph Bodson