Jean-Luc Fauconnier, Li tins qu’è-st-a l’uch..., éd. El Bourdon, 2020, 36 pp,El Môjo dès Walons, Bd Roullier, 1, 6000 Charleroi.

Sans avoir lu les quelques mots d’explication de Jean-Luc sur la page 4 de couverture, je comptais commencer mon compte-rendu par quelques considérations sur le jardinage, vu que deux autres recueils de haï-kus me sont parvenus presque en même temps, l’un de Bernard Louis, l’autre en épreuves encore, de Jacques »Maujeni » Desmet. Et je me demandais s’il n’en allait pas des haï-kus comme du jardinage, où l’on compte les années soit par l’abondance des carottes ou des céleris, ou encore par celle des bestioles qui les hantent, Ainsi, il y a des anéyes a baloûjes, ou des anéyes à bièsses-a-Bon Diè. C’est ainsi, je m’en souviens, que peu de temps après la guerre, au cours d’une fête de famille, la conversation roula sur le rock and roll, et mon grand-oncle Jean remarqua innocemment: Et qwè, l’ rock and roll? Por mi, c’èst co sûrmint one novèle maladîye dès canadas…

Mais je m’écarte du sujet, une fois de plus, alors que les haï-kus, bien au contraire, demandent la plus grande rigueur. Ma seule excuse, c’est que Jean-Luc Fauconnier m’en ouvre la voie. Ecoutez donc ce qu’il dit en page 4 de couverture:  dins lès-ayikous, on dvisse di ç’qui s’passe tous lès djoûs,  dèl plouve, dèl nîve, du bon tins, dès p’tits mouchons, dès cruwôs, dès bèlès fleûrs, tout çoula a môde di ré pou n’n-arivér  a scrîre dès saqwès qui sont fwârt pèrfondes èyèt qui mwin.n’ut, pa côps, bé lon... (Dans les haï-ku, on parle de tout ce qui se passe tous les jours, on parle de la pluie, de la neige, du bon temps, des petits oiseaux…des mauvaises herbes, des belles fleurs, tout cela mine de rien, pour en arriver à écrire des choses qui sont très profondes et qui parfois mènent bien loin…)

Simples considérations si l’on veut de bon sens paysan, mais qui peuvent mener, comme on le voit, à des vérités très profondes. Mise en garde, aussi, faut-il le répéter contre la poésie qui recherche systématiquement la complication, et qui mène tout au plus, en fin de compte et registres remis, à devenir membre de la Société internationale pour l’étude des nuages, plutôt qu’à la profondeur des choses. Oui, croyez m’en, le simple bon sens, et le sens de l’observation, de nos paysans, est bien souvent empreint d’une véritable poésie. Et je n’en veux pour preuve que ce recueil de Jean-Luc Fauconnier, dont voici tirés quelques beaux exemples:

Rien déjà que l’exergue « Qué tins èst-ce qui nos-alons awè dimwin? / « Bé, li cé qu’è-st- a l’uch, mi fi! » (Quel temps allons-nous avoir demain? / Eh bien, celui qu’il fait dehors, mon fils! »

  • l’orâdje, i pontîye / lès-arondes vol’nut a ras’ / lès pôvès mouchètes // l’orage menace / les hirondelles volent bas / pauvres mouchettes.
  • téj tu bièsse ton’wâre / lès tchés ûl’nut dins l’ coron / t’as p’t-ète peû ètou // tais-toi, sacré tonnerre / les chiens hurlent dans le quartier / tu as peut–être peur, toi aussi
  • li bon tins rarive / no coq rèvèye li solia / s’reut ç’ don vrémint li // le beau temps revient / notre coq réveille le soleil / serait-ce donc vraiment lui?
  • i va-z-è tchér yène / queuwe è l’ér lès vatches cour’nut / choûte quand l’ minme li posse // il va en tomber une / queue en l’air les vaches courent / écoute quand même le poste.

Allons, un dernier, pour la route:

li spirou s’ rafîye / a make lès nojètes toutes plènes / li tchabote ètou. – L’écureuil est tout content / des masses de noisettes bien pleines / sa cachette aussi.

 Chaque page est consacrée à un phénomène atmosphérique, qui a pour emblème un caractère japonais joliment reproduit. Mais le caractère premier de ces textes est lié, bien sûr, à celui de leur auteur, et l’écureuil, là, pourrait lui servir d’emblème: le style est vif, preste, frétillant. Avec, bien souvent, un brin de narquoiserie, de moquerie envers soi-même, comme envers la nature humaine tout entière. Bon connaisseur de cette nature , Jean-Luc Fauconnier s’en est fait une philosophie, un peu à la façon de Montaigne. Non, les hommes ne sont jamais si bons, ni si mauvais qu’on le pense. Il faut prendre les choses, les êtres comme ils sont. Et ce réalisme teinté de bonne humeur, c’est un trait du caractère wallon: vite emballé, prompt à se fâcher, mais prompt aussi à revenir sur soi, avec un air de moquerie légère. Cela se marque fortement dans le style. Les haïkus, par une sorte de réversibilité, d’aller-retour constant, traduisent fort ben cette démarche un peu narquoise. Un vrai régal de spirou!

Je rappellerai tout de même que notre ami André Leleux s’y est aussi essayé, en picard, avec beaucoup de talent.

Joseph Bodson