Jean-Pierre Otte, Présence au monde, plaisir d’exister, Chroniques, Editions Le temps qu’il fait (2022,25 euros, 267 pages)

En lisant Jean-Pierre Otte, on se sent à la fois chez lui et un peu chez soi. Se sentant « aristocrate par les sons », il nous fait entrer dans sa filiation. Son style scénarise l’endroit de son passage, son lieu d’être. Les personnes rencontrées sont pétries de glaise et de regards au-dessus des haies quand « Angeline se remet à gratter avec son outil mince comme une patte de poule dans son jardin aux fleurs ». Il y a chez lui rebondissement de l’idée dans l’acte parfois le plus quotidien. Le style fait mouche et émoustille les sens, l’auteur se surpassant en évocation quand la matière première de sa réflexion et l’être s’interpellent : « La troisième se fit attendre et arriva un beau dimanche, le visage fin, des cheveux couleur de blés, elle ne dit rien, sourit seulement de façon timide ; elle respire infiniment cette odeur de sommeil frais autour des meules et des muscles de bois ; finalement, elle ne peut s’empêcher de plonger, jusqu’aux épaules, ses bras dans les draps tièdes et lisses de la farine ».
La symbiose s’opère en toute chose. Idem donc pour la nourriture : « Le repas, c’est un peu du pays que l’on déguste, que l’on absorbe, que l’on assimile en le livrant à ses papilles… ». Peu d’écrivains excellent dans cette beauté écrite : « J’ai observé une renarde avec ses renardeaux un jour de juillet ; ils s’ébattaient avec des scintillements de feu de paille dans une éteule sous la lumière oblique de fin du jour ».
L’auteur nous emmène entre lieux vécus, imaginés, voire rêvés, parfois également avec humour : « J’accourus, écartai les chats, et recueillis une corneille à laquelle je donnai le nom de Racine ».
Parfois la chronique se fait historienne des gestes : « Les temps sont révolus. On ne fait plus la fenaison avec les fourches, les couffins, les pierres à vinaigre ou les faux que l’on affûtait… ».
Parfois entièrement poète, « elle tint le soleil captif entre ses cils », charpentier des mots, l’auteur mêle sa circonstance d’écrivain à l’ambiance générale : « Les mots sont comme la matière du bois, comme des outils maculés et émoussés dont tant et tant d’autres avant nous se sont servis, et auxquels il faut rendre un tranchant ».
L’auteur, universel, peut se sentir du Sud :  » Le vin est une substance mystique « ; il nous entraîne de l’autre côté des apparences, dans l’ombre de nous-mêmes, où les mots avant d’être profanés, « s’épanchent en pétales blancs d’amandier ».
A la fois sobre et précis, Jean-Pierre Otte nous propose une sorte de philosophie buissonnière.
Une partie importante de l’œuvre est consacrée au rôle de l’écrivain, à ce qu’il peut être ou ne pas être du tout : « l’écrivain qui n’a pas de style est sans intérêt ; c’est que la digestion, la dissolution des évènements, des mouvements et des émotions, ne s’est pas faite absolument jusqu’à produire une magie incomparable au niveau du langage ».
Dans son esprit, l’écrivain doit nous mener, via son passage propre « à la danse de l’âme », la littérature se devant « métamorphosante » , avec la mission de bouleverser sans ambition personnelle.
A le lire, on le croit sur paroles. Sensible à la mythologie personnelle de l’écrivain, son style a tout pour séduire.

Patrick Devaux