Des hommes et des molécules, 100 ans de chimie et de pharmacie en Belgique, par Kenneth Bertrams et Geetrdt Magiles, Mardaga, coll. Essenscia.

 Un livre grand format, 240 pages, avec des passages un peu ardus, mais qui vous apportent une foule de renseignements et de réponses sur des questions que vous vous posiez, et qui vous amènent à réviser certaines opinions toutes faites, et à mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons.

 La première partie du livre nous livre une histoire de la chimie dans notre pays, tant en Flandre qu’en Wallonie, très détaillée, ombres et lumière, ne cachant pas qu’aux progrès de la science peuvent correspondre, assez souvent, des dégâts pour l’homme et son environnement. D’autre part, si nous pouvons être fiers des grands savants qui ont illustré nos régions au cours surtout du 19e siècle et du début du 20e, nous avons assez souvent tendance à croire qu’aujourd’hui, la Wallonie, c’est fini, et qu’il n’y a plus qu’à en prendre son parti. Or, il n’en est rien, et notre pays, y compris la Wallonie, reste l’une des nations à la pointe de la recherche, même si ce n’est plus dans les mêmes domaines que naguère.

 Peu après notre indépendance Charles Rogier « détournera » un chimiste allemand, Kékulé, vers l’Université de Gand. Celui-ci insistera beaucoup sur l’expérimentation. C’est ainsi que nous accompagnerons dans leurs recherches  Leo Baekeland, dans le domaine de la photographie, qui donnera son nom à la bakélite : première matière plastique, datant de 1907. Elle restera la plus utilisée jusque 1950. En 1825, à Roulers, puis à Vilvorde, une fabrique de couleurs rendra célèbre le nom de Levis, Pendant ce temps, Lieven Gevaert fabriquera, d’abord de manière artisanale, la papier photo, rue Montigny, à Bruxelles. Pour l’agriculture, on apprendra à séparer l’oxygène de l’azote. On fabriquera aussi de l’ammoniaque synthétique. La croissance de l’industrie mécanique belge amènera l’intérêt pour le pétrole, et la pétrochimie autour d’Anvers surtout.

 Et puis, le plus connu de tous, Solvay, à la fois chercheur et industriel, va jeter les bases d’un véritable empire, basé d’abord sur l’ammoniaque, le sel marin et l’acide carbonique, avec notamment l’usine de soude de Couillet

Ce sera ensuite l’essor de la biochimie, Le mécanisme en intéressera assez tôt, au 17e siècle, un médecin belge, Van Helmont, près de Vilvorde. Les plantes rejettent l’oxygène et absorbent le CO2 (dioxyde de carbone). D’où nos problèmes atmosphériques…et l’on se rend compte que l’homme est partie d’un tout En 1877, De Kock identifie une bactérie responsable de la tuberculose, et les découvertes vont se succéder. La théorie microbienne de Pasteur, les gènes, la structure de l’ADN, que l’on peut recombiner, les OGM. En 1970, on fabriquera de l’insuline humaine à partir de bactéries. Et nous comptons toujours des savants de première grandeur, dont plusieurs prix Nobel : Jules Bordet, Heymans, la dynastie des Janssen, Christian De Duve… tant au sud qu’au nord du pays.

Mais venons-en, avec la biochimie, à la luette contre la pollution, au traitement des déchets, aux problèmes de santé – l’air que nous respirons, aussi bien  que les modifications apportées au climat. Il faut se garder, me semble-t-il, dé deux attitudesextrêmes: la condamnation sans nuances du progrès, de la science, d’une part, et d’autre part un singulier aveuglement de certains savants, ne visant que le seul triomphe de la science. Mais surtout, certains intérêts financiers de l’industrie chimique, aux fusions incessantes, à la vente de médicaments insuffisamment expérimentés.

 Ce livre apporte, du moins en partie, des réponses rassurantes : il en ressort assez évidemment que les savants ont en général un sens très aigu de leurs responsabilités. Certaines erreurs du passé ont été comprises et combattues : ainsi le softenon, l’amiante. On peut mettre à l’opposite la recherche belge, qui a obtenu des résultats très brillants dans la lutte contre le SIDA, contre le virus Ebola…Et n’oublions pas que la lutte contre la tuberculose s’est terminée par une victoire quasiment totale.

 Par ailleurs, l’utilisation des bioplastiques est de plus en plus courante. On est arrivé à recycler les déchets dans des proportions. Les normes européennes sont d’un usage de plus en plus répandu, la Chine, par exemple, s’y adapte rapidement, si les Etats-Unis leur font grise mine.

 Il ne faut pas oublier que bien souvent, les découvertes scientifiques constituent une arme à double tranchant. Ainsi, le savant allemand – Juif d’ailleurs – qui inventa les gaz asphyxiants allait recevoir, dans les années 1920, le prix Nobel, pour des engrais nouveaux, conséquence de ces mêmes inventions. Une découverte qui allait permettre de développer considérablement le rendement agricole en Europe, et d’aider les populations à mieux vivre…

Non, le bilan n’est pas aussi négatif que l’on pourrait croire. Mais savez-vous qu’un quart des vaccins utilisés dans le monde sont fabriqués à Rixensart ? Que la Belgique est le pays le plus en pointe dans la recherche des médicaments ?

 Bien sûr, la partie n’est pas gagnée, il reste encore beaucoup de chemin à faire, surtout dans les mentalités. Mais la toute première démarche à effectuer est la poursuite de l’objectivité. Aucune substance, vivante ou inerte, n’est parfaitement innocente. Les expériences sur les animaux ne sont qu’un pis-aller, mais elles ont permis de vaincre la rage, et d’autres pandémies.

 Bien sûr, ce livre nous donne la clé de pas mal d’énigmes. Il mentionne assez clairement les fusions, les regroupements de sociétés, dans le domaine de la chimie comme de la pharmacie. Mais en ce domaine, le dessous des cartes ne nous est pas montré. Là aussi, il reste beaucoup de chemin à parcourir, vers plus de transparence.

 Il me semble assez important aussi de signaler que dans certaines recherches, des partenariats se sont créés entre le nord et le sud du pays, entre universitaires et patrons d’entreprises. Là encore, la voie est seulement tracée. La technologie, le savoir-faire doivent devenir un bien commun, échappant ainsi aux rivalités économiques et politiques. Tout ce qui nous unit est plus important que ce qui nous divise. Ce livre en fournit des exemples remarquables.

 Il resterait à parler, mais ce serait allonger exagérément ce compte-rendu – du chapitre traitent du développement du port d’Anvers, de la rivalité, heureusement résolue, avec Rotterdam, et de ses liaisons avec différentes zones industrielles en Europe. Bien sûr, tout se tient, et ces liaisons constituent un chapitre de plus en plus important de notre histoire industrielle.

A découvrir…

 Joseph Bodson