Louisa de Groot, Relève-toi et danse, récit biographique de Chantal-Iris Mukeshimana, préface de Colette Braeckman, éd. Memory, 244 pp, 18 €

Un bien beau titre pour un bien beau récit…Un récit qui commence dans le village natal de Chantal-Iris, à Bugesera, au Rwanda, en 1983. Première séparation: la mort d’un petit frère, qui la touche profondément. Vers huit ans, c’est elle qui sera atteinte d’un mal mystérieux, qui l’empêche de marcher: en fait, la polio, la maladie des os de verre.. Guérisseuse, sorcier n’y peuvent rien faire, et l’hôpital ne fera que limiter les dégâts. A cela s’ajoute que son père maltraite sa mère, et finit par prendre une seconde femme, une véritable mégère. Viendra l’heure du génocide, la grande peur, et le sauvetage in extremis, avec les enfants et les soignants de l’hôpital, par des casques bleus, le départ pour la Belgique. Pendant ce temps, au village, toute la famille doit s’enfuir pour gagner Goma, au Congo. Au cours de cette longue marche, la maman de Chantal mourra d’épuisement, comme elle l’apprendra plus tard. Crève-coeur, elle quitte son pays sans rien en emporter… Après un séjour à l’hôpital Brugmann, où elle reçoit un fauteuil roulant; elle sera transférée au Centre de la Croix-Rouge à Yvoir. Un couple, Jeannine et Raoul, lui servent de parrain et marraine, et la reçoivent régulièrement chez eux, à Bruxelles. Malgré plusieurs chutes, elle s’accroche de son mieux. Son premier combat: ne pas faire partie des enfants rwandais qu’on rapatrie, ce qui pour elle représenterait de très gros problèmes. Elle obtient gain de cause, reçoit une carte d’identité pour une durée de cinq ans. Nouvelle épreuve: pour des raisons financières, le Centre va devoir fermer. Par chance, un couple d’éducateurs, Julien et Lucie, vont l’accueillir dans leur famille, où elle sera bien intégrée par leurs propres enfants. On lui trouvera une école, un internat, adapté à son état à Bienne-lez-Happart, près de Binche, le Centre Arthur Regniers. Elle se passionne pour les cours de français, écrit un beau poème à l’âge de seize ans.

Nouvelle épreuve: la séparation de ses parents adoptifs. Elle va accompagner Julien, qui va habiter chez sa mère, à Spy, Elle va entamer des cours de coiffure, en externe cette fois – elle se débrouille pas mal pour les déplacements – mais après un an, elle se rendra compte que c’est une impasse. Cependant, elle a la chance de participer à un défilé de couture. Un moment crucial…mais ici, je laisse la parole à l’auteure (p.106)::

Une démonstration de danse était également au programme. Sur scène deux personnes, l’une debout, l’autre en chaise. A la surprise générale, ils ont dansé ensemble,sur des musiques variées. Jamais je n’avais vu danser de cette manière. Mon coeur s’est mis à battre de plus en plus fort. C’était un spectacle époustouflant! J’étais touchée au plus profond de mon être.

Cette rencontre sera décisive, un premier jalon sur le chemin de sa carrière future. Entre-temps, son parrain lui à conseillé de s’adresser à la reine Fabiola pour lui demander son aide en vue de retourner au Rwanda, et sa demande est acceptée: elle fera partie d’un vol à destination de Kigali, avec une délégation belge partie commémorer le dixième anniversaire du génocide. Ce sera l’occasion de renouer des liens, de revoir son père et ses frères, d’en savoir davantage à propos du décès de sa mère.

Mais elle n’est pas au bout de ses peines: son père adoptif ne supporte pas qu’elle fréquente des garçons, cela se passe très mal entre eux, elle doit se réfugier chez les parents de son ami,elle va à l’école à Morlanwelz. Les péripéties s’enchaînent, elle va s’installer chez une amie rwandaise à Braine l’Alleud, Première sortie en boîte à Waterloo, déménagement au village Reine Fabiola à Braine,, où elle sympathise et collabore avec les éducateurs, dont ‘un s’occupe de danse artistique. Elle obtient enfin un logement à Louvain-la-Neuve, qu’elle aménage avec l’aide, matérielle et financière, de ses amis du village Reine Fabiola, Deuxième voyage au Rwanda, où elle règle les affaires de sa famille, le différend avec sa belle-mère, qui ira habiter ailleurs. A Louvain-la-Neuve, une fois installée, elle trouvera des cours d’esthétique à Namur, finira par obtenir un fauteuil roulant automatique, ce qui lui épargne trajets et transbordements toujours aléatoires. Ecoutons-la encore, p.191:

A ce moment-là; je n’avais pas encore appris à conduire (oui, je dévoile un peu la suite…) et suis prête à accepter n’importe quelle supposition. Il faut que je trouve un stage et je fonce, motivée au point de perdre tout sens des réalités. J’oublie les obstacles qui pourraient se dresser sur mon chemin: les marches, les bordures de trottoirs,, les escaliers, les trains, les bus, les métros…Une pure folie, sans aucun doute.

A différentes reprises, elle rencontre Garcia, qui l’avait initiée à la dans en fauteuil roulant, et qui lui-même organise des stages. Et le miracle se produit: elle-même va diriger des stages, ils vont organiser une grande fête de cyclodanse,, la télévision sera présente, et c’est le succès triomphal…Dans la foulée, elle passe le permis de conduire.

Les raisons de toutes ces résiliences? Elle nous les donne elle-même, p.196:

Sous prétexte que je suis handicapée, je devrais donc accepter d’être inactive, dépendante, rester sans rien faire, dormir ou manger toute la journée!…Ce n’est pas comme ça que j’imagine mon avenir! Je veux être utile à la société, être active, avoir la pêche, montrer ce dont je suis capable, donner le meilleur de moi-même.

Son trajet ressemble assez bien au jeu de l’oie: on croit que l’on y est, que l’on a fait la plus grande part du chemin, et puis, patatras!, on tombe dans le puits, on rencontre une sorcière, on doit cesser de jouer pendant trois tours…Mais elle y arrive, la petite. Rien ne la décourage. Et c’est une fameuse leçon de courage et de confiance en la vie qu’elle nous donne là. Non pas se complaire en soi-même, ressasser son chagrin, ses épreuves, mais s’avancer mains tendues, sourire aux lèvres, et se relever chaque fois que l’on tombe. Donner, plutôt que de se refermer. Car notre vie, à chacun, est comme un arbre, et c’est à ses fruits que l’on reconnaît l’arbre. C’est nous, l’arbre, qui les faisons mûrir. Et c’est seulement ainsi que la vie vaut la peine d’être vécue.

Il faut saluer tout particulièrement le talent de Louisa de Groot, qui a su, avec infiniment de patience et un soin méticuleux,  construire ce livre, à partir de ce que lui a révélé  Chantal-Iris. Sans elle, tout cela serait resté sous le boisseau. Encore une fois, un livre-phare, qui peut rendre à beaucoup le courage et le bonheur de vivre.

Joseph Bodson