Manuel Verlange Changer le cours des fleuves Biographie d’Alfred Grosjean éditions Academia biographies, 331 pages, 2022, 30 euros

Ce livre se lit comme un roman à rebondissements révélant le parcours d’un être exceptionnel qui crée un empire industriel wallon à partir de trafic de cigarettes et bijoux pour fiancées de soldats casernés en Allemagne, cheminant sur la trajectoire professionnelle d’un beau-père qui, involontairement, et après quelques déboires, va lui mettre le pied à l’étrier en lui vendant son entreprise de ferrailles.
On rêve à force de travail et cette vie pourrait ressembler, toutes proportions gardées, à beaucoup d’autres si le caractère très humain d’Alfred n’était déterminant. L’auteur nous précise que « certains hommes arrachent le pouvoir de changer les choses », l’auteur écrivant lui-même dans cette dynamique d’actes posés parfois étrangement mais avec la réalité d’une Wallonie en reconstruction à partir de l’après-guerre, à Montignies-sur-Sambre, dans la région de Charleroi.
Réussite d’un petit ferrailleur qui verra les choses en grand : « Sa réussite dans le monde des affaires lui apportera ce luxe qui suit toujours les élites avec une flagornerie de caniche. Il le connaîtra sans en devenir l’otage, le jouet des illusions de pouvoir. Alfred fera sienne cette citation d’Alexandre Dumas fils : l’argent est un bon serviteur mais un mauvais maître…/…/ Pour beaucoup de gens, c’est le lièvre qui tient le fusil. Pas chez Alfred ».
L’auteur manie la conjugaison du futur avec brio ce qui nourrit l’intrigue :
« Il sourit, malicieux. Il réussira sa réussite ».
D’un « trou noir » paternel ; Alfred se voudra, aux côtés de son épouse Célesta, paternel et fraternel, humain, agissant en contre-exemples.
La biographie, appuyée à partir de dizaines de rencontres et interviews, est menée telle qu’à certaines évocations l’auteur et Alfred paraissent fusionner en une personne unique, notamment dans les actes courants : « Le plus souvent possible, il les conduira à l’école, il les emmènera au marché, leur faisant découvrir la saveur des fruits, des légumes, des bons produits ».
La motivation est au cœur de l’ouvrage avec ces mots d’Alfred : « J’ai débuté avec un filet de famille qui coulait à peine, croyez moi, ça donne des envies de fleuve ».
Et quand Manuel demande, à cet homme de 90 ans :

– Vous êtes heureux ?
Il répond :
– Je ne changerais rien.

Patrick Devaux