Marc Lamboray,   Pèkèt Roi de la fête, coédition du Musée de la Parole en Ardenne et du Musée en Piconrue, 2018.

Voilà un ouvrage qui n’est ni une fiction narrative, ni une évocation poétique…et pourtant certains passages pourraient le suggérer. Dans cette étude ethnologique digne de figurer dans les très sérieuses «  Enquêtes du Musée de la Vie Wallonne », l’auteur est parti d’un thème central qu’il fait rebondir en de multiples directions.

Après avoir prévenu le lecteur que son approche du sujet ne traduit aucunement un attrait pour le genièvre, cet alcool national , Marc Lamboray confesse humblement qu’il n’en consomme jamais et, par ailleurs, il avoue être incapable d’en apprécier toutes les fragrances. Nous comprendrons alors que sa démarche est guidée par une véritable passion pour les traditions et les choses de notre folklore. Heureuse curiosité qui a produit une étude très fouillée sur une boisson bien populaire qui possède néanmoins ses lettres de noblesse.

D’entrée de jeu, si vous feuilletez ce très beau livre de 140 pages, vous serez attiré par la somptueuse illustration qui vous incitera naturellement à en chercher les commentaires. Ensuite, vous voyagerez au travers les passages en italiques qui rapportent en langue wallonne maintes anecdotes humoristiques et savoureuses, (connaissant la faiblesse de notre savoir dialectal, l’auteur a pris heureusement soin de les traduire en français). Après cette mise en appétit, vous serez armé pour aborder tous les détours intéressants et les aspects inattendus de ce livre consacré au roi de la fête.

Du 19e siècle jusqu’au début du 20e siècle, cet alcool restera la boisson populaire par excellence. Son prix peu élevé et le fait qu’il soit servi dans un petit verre justifient son succès dans les classes sociales les plus modestes. Citations à l’appui, le texte évoque les cabarets clandestins qui fleurissaient dans toute la Wallonie (et sans doute aussi en Flandre).

Pour ne pas devoir payer la patente qui taxait la vente de l’alcool, il existait de nombreuses combines permettant de contourner la loi. Par exemple, le contenant sera camouflé dans une cafetière des plus innocentes et, en évitant habilement de réclamer le prix de la consommation, la maîtresse de maison dira que la goutte est gratuite mais qu’il faut payer la location de la chaise…

A l’aide d’un schéma explicatif et d’anciennes photographies adéquates, le lecteur comprendra que la fabrication du genièvre est loin d’être simple et, à la fin des procédés de distillation, il importe d’ajouter ces fameuses baies de genévrier (qui justifient son appellation française). Les réunions des hommes en vue de disputer un loisir sont indissociables du pèkèt, celui-ci s’identifie fréquemment à l’enjeu même de la partie de cartes ou du jeu de quilles.

Les grandes fêtes seront des occasions rêvées pour les amateurs de « petite goutte« , c’est encore vrai aujourd’hui aux Fêtes de Wallonie à Namur ainsi qu’aux célébrations du 15 août à Liège. Dans ces grands rassemblements, les amateurs portent en sautoir un verre à goutte ; actuellement le pèkèt se décline en différentes couleurs suivant la combinaison des sirops (menthe, grenadine, citron..) qui confère à l’alcool une vague apparence de limonade… On retrouve ces libations dans la plupart des fêtes du calendrier avec des points forts au temps du carnaval sans oublier les voeux du Nouvel  An  qui impliquent l’inévitable petit verre offert obligatoirement aux visiteurs. Lors de l’Epiphanie, dans l’ouest de la Wallonie et en Flandre orientale, on boit le genièvre brûlé qui est parfois consommé de façon rituelle d’autant plus qu’on assiste aujourd’hui à un regain de l’esprit des fêtes de jadis.

Autrefois, les moments importants de la vie étaient accompagnés de force tournées de pèkèt. Celui-ci, sans toutefois perdre son caractère festif, venait souligner une étape capitale de l’existence : fiançailles, mariage, naissance et même funérailles, autant d’occasions où la goutte était servie à toute la compagnie.

Le chapitre Le pèkèt au travail apporte un correctif sérieux au pèkèt de la fête.

Au 19e siècle et jusqu’aux années 1950, les pratiques consistant à boire sur les chantiers s’avèrent désastreuses pour la santé des ouvriers. Nombreux sont les témoignages sur les dégâts provoqués par l’alcool. Le besoin constant de genièvre était souvent cause d’absentéisme risquant d’exclure définitivement l’ouvrier du marché du travail. Les maçons et les mineurs prétendaient même que le pèkèt les aidait à faire passer la poussière. Cette addiction à l’alcool devenait peu à peu une véritable malédiction pour toute la famille car le père du foyer y consacrait très souvent l’essentiel de son salaire.

Heureusement, en  1919, la loi Vandervelde va réglementer sévèrement la consommation d’alcool et sa vente dans les endroits publics. Rapidement, le nombre de débits de boissons chute de façon drastique. La réaction des autorités se fait également sentir par de nouvelles taxes frappant la boisson alcoolisée. Enfin, si le pèkèt doit être bu avec modération, il n’en reste pas moins un élément important de nos traditions de consommation. Il occupe une place majeure dans la vie sociale de nos anciens. Présent dans les contes et légendes, dans la médecine populaire et dans notre langue wallonne, il était de toutes les fêtes et célébrations… d’ailleurs n’est-il pas toujours la boisson préférée de Tchantchès, la célèbre marionnette liégeoise et le personnage emblématique du folklore wallon ?

Jacques Willemart, 2018.