Maud Joiret, Jerk, L’arbre de Diane, Les deux sœurs, poèmes, 2022, 92 pp.,12 €

Nous avons dit, en son temps, tout le bien que nous pensions de « Cobalt« , le premier recueil de Maud Joiret. Ici, il faut d’abord souligner la qualité de la présentation matérielle de l’ouvrage : le mauve aussi est une couleur, celle des ecchymoses, et, si la photo de couverture a quelque chose de surréaliste, elle est drôlement significative d’une grave solitude. De plus, le format même de l’ouvrage permet de donner aux vers, souvent longs, toute leur ampleur.
Journal ? Journal d’une souffrance ? D’une vie en souffrance, comme les colis restant dans les gares ? Il y a de cela, mais loin des jérémiades habituelles. Marceline Desbordes-Valmore est larguée, bien loin, malgré ses qualités, sa rareté en un siècle d’hommes. Le titre déjà, « Jerk« , par sa brièveté, ses multiples sens, est très parlant : la danse, le corps bouleversé, le jet, le rejet, et puis le mépris, le néant.
Mais ce style qui est le sien ne peut être confondu avec nul autre. De par son parti-pris de ne rien cacher, de dire les choses et les êtres tels qu’ils sont, en leur pleine nature. A commencer par le corps de la femme, à la fois pluriel et singulier, mais jamais déifié : elle fait l’économie de la sublimation, et des courbes voluptueuses, et de la céleste mythologie, si prosaïque, malgré les apparences. Les êtres et les choses sont ici, tels quels, sujets/objets de désir, sans plus. De désir, et parfois de dégoût, d’ennui, de rejet. On voit mal Baudelaire s’épilant les aisselles, ou même Verlaine se grattant l’aine.
Mais peut-être, à l’envers du décor, la conscience poignante, poignardée, de quelques instants privilégiés, brefs, le plus souvent. Difficiles à atteindre. A attendre. Les rares instants où la vie vaut d’être vécue, en sa plénitude. Conscience poignante de leur brièveté, de leur rareté et du temps de l’horloge indifférente. Jean est là, et je est dans Jean : sujet-objet de multiples contrepèteries, ramené à sa petite identité, otage du temps, de la fuite du temps, ce grand lâche qui nous désordonne. Nos efforts pour le saisir, l’immobiliser. Mais si c’était cela précisément, sa fugacité, sa désinvolture, qui en faisaient la beauté, en nous plaçant au cœur de la seule vie vraie, de l’éternité? La sombre beauté de ces brefs instants qui nous dépassent. De ces rares instants qu’il nous reste de vivre. Oui, digne d’être vécue, et d’être dite, en ces épineux buissons de souffrance, en ces halliers perdus de solitude…et le reste n’est que littérature.
Et tout cela dans un style bref, quotidien, mais lumineux, éclatant malgré l’ombre, mine de rien, et comme une géologie de la joie :
« Elle court à poil en hurlant
ou peut-être qu’elle danse »
Joseph Bodson