Myriam WATTHEE-DELMOTTE, Dépasser la mort, Actes Sud , 2019, 272p., 21€.

 

Un « Don des morts » renouvelé pour dire non à la douleur, et réinventer grâce à la littérature des baumes qui aient comme vertu d’annihiler cette souffrance de la perte.

Ainsi Myriam a voulu, par ses essais, répondre à cette blessure que fut pour elle le départ de cet ami proche, André. Que faire, sinon la déploration, que faire, sinon rappeler comme un chapelet de souvenirs, l’image de l’absent ? Mais la tâche est douloureuse, émaillée de risques et de frustrations récessives, à chaque rappel, l’intense blessure.

Alors, coûte que coûte, il faut creuser, forer loin dans les livres quelques semences porteuses. Quitte à laisser pour un temps l’absent aimé, l’ami fidèle, le témoin de tant de moments heureux, sur le côté pour laisser libre  l’escorte des textes qui puissent – enfin – servir d’onguent à la douleur. Beaux textes puisés aux classiques, aux modernes. Béatrice Bonhomme-Villani offre là une matière sensible, filiale, lors du départ de son père, peintre reconnu. Ou Mallarmé, gagné par une souffrance indicible, qu’il va pourtant communiquer à un manuscrit qu’il n’oubliera jamais pour dire sa perte du petit Anatole. Ou tant d’éloges ou oraisons funèbres, qui, le temps de les dire, officient aussi comme des dénis à l’absence ou à l’émotion immense qui étreint.

L’hommage d’Anatole France à Zola résonne comme un blason d’épure pour veiller à la postérité d’un être de combat, mort d’avoir osé.

Comment « apprivoiser la mort » ? Comment s’y faire ? Comment accepter qu’elle s’impose comme un fruit indésirable au travers de la gorge de tout un chacun ? Cette question traverse comme un poignard cet essai qui veut prouver que chaque écrivain, chaque artiste (l’on pense à la belle composition de Barbara « Nantes » sur un père abominé, abominable mais qu’on ne peut décemment oublier même si c’est de l’ordre de l’effroi et/ou de l’abjection) tend à l’apprivoiser.  Parfois, c’est un père, parfois c’est une mère dont le souvenir arrache des mots durs voire lucides sur une relation qui n’a pu se nouer durablement car pétrie d’inéluctable absence au cœur de l’enfant : « Lettre en abyme » d’un des meilleurs poètes belges, Marc Dugardin, révèle cette blessure presque inavouable, lucidement exposée par le biais de poèmes âpres, qui ne cachent rien de ce qui s’est perdu dans l’amour filial, une perte sèche, un arrachement, un déchirement, un non-dit qui choque, blesse, altère, érode l’enfant devenu adulte, comme par dépit.

La « question de la mort » au centre de l’œuvre de l’auteur-phare de Myriam Watthee-Delmotte, Henry Bauchau, donne lieu à un chapitre  qui dit bien « cette hantise » et la manière d’en sortir, grâce à la littérature. Deuil de la mère ou « mort du patriarche » ou transfert en pleine mythologie, le destin d’Antigone, tragique figure qui « étouffe » de sa liberté, gagnée contre tant de défis.

Vaincre la mort et son chapelet de souffrances, peut-être est-ce aussi le vœu d’artistes originaux, faisant de la rue le tremplin du soulagement, puisque, selon Ernest Pignon-Ernest, il est loisible à l’artiste de faire revivre le mort, le poète mort, qu’il s’appelle Rimbaud de Charleville ou Pasolini de Rome et Caravage de Naples de survivre et de plaider ainsi un prolongement vital, esthétiquement vital, de la mort consacrée.

L’essai de Myriam, loin de singer sa devancière Sallenave (« Le don des morts » date de 1991), prolonge et réactive le souci majeur de l’auteur des « Portes de Gubbio », faire de l’acte littéraire, par l’écriture et/ou la lecture, le souci de briser chez l’être l’essence même de ses frustrations, et poser par là même les jalons d’une vie nouvelle, mûrie de la mort, de l’absence, nourrie du chagrin pour déboucher sur un pan d’espoir, inespéré puisqu’ancré trop souvent dans le marbre des gisants.

Philippe Leuckx