Nathalie Boutiau, La porte du silence, récit, éd. Academia, 2021, 150 p., 15,50 €. Préface de Cinzia Agoni.

Il s’agit bien en fait d’un récit. Mais aussi, de bien plus qu’un récit. Dans sa première partie, nous vivons un véritable roman d’amour, l’amour entre l’enfant autiste et sa mère, un amour douloureux, contrarié, difficile, mais combien vivifiant, où chaque pas en avant, chaque regard, tout ici est complicité, victoire de la vie. Et, alors que l’on insiste d’habitude sur l’aspect fermé, renfrogné de l’autiste, sur ses gestes porteurs de hargne et de repli, ici, c’est tout le contraire qui se passe. Un véritable hymne à la beauté de l’enfant réconcilié, même si cette réconciliation  n’est que passagère, et sera suivie de nouveaux replis sur soi.

Je m’en voudrais de gâcher toute cette lumière par des commentaires qui ne feraient guère qu’alourdir la finesse du dessin, cette lumière, surtout, qui vient éclairer le visage de l’enfant. En wallon, on dit que le « diable marie ses filles », quand la pluie et le soleil se mélangent en un tableau contrasté. C’est un peu de cela, je crois, qu’il s’agit ici. Mais un tel mariage vaut bien mieux que des noces plus solennelles.

Ecoutons-la plutôt.

p.26: Un rien nous sépare de la grâce. Ce rien, la musique peut nous l’enseigner. p.37: Il y a de petites choses très discrètes et légères qui ne tiennent pas dans la main. On les soupèse seulement avec l’âme. On y met ce que l’on veut., le presque rien y compris. Le presque inutile aussi. Elles n’encombrent pas l’instant, elles le magnifient. Le sourire de Guillaume en fait partie. Il ne fait pas de bruit, il ne pèse rien, mais il tient tout entier dans le regard de celui ou de celle qui le reçoit. On voudrait le retenir; on n(en fait rien. On voudrait connaître la raison de cet éclat soudain; c’est peine perdue. Car c’est trop profond, trop près de ce coeur dont on n’a pas accès.

Guillaume ne supporte pas le bruit, mais le silence est proche du vacarme. L’enfant est tantôt paisible, tantôt agité.p.46: Le son de la mer, c’est reposant. Comme le souffle de l’enfant quand il est en paix. C’est un chant venu de très loin, un chant venu de la nuit des temps. Toutes les notes sont différentes. Elles racontent l’histoire du monde et celle des enfants qui ne sont pas comme les autres.

Nathalie Boutiau a le sens de la formule juste, des mots qui s’accordent, qui se rejoignent tout juste, au millimètre près. Et, chez l’enfant, c’est un bref instant de grâce absolue, un déclic, une image tôt apparue, tôt disparue. On ne sait pourquoi, il n’y a pas de recette. Seulement une longue patience. Le poète est un guetteur. Ainsi, p.49:  (…) Aimer, c’est quelque chose qui nous vient de très loin Et ce très loin c’est l’enfance, les premières semaines de la vie, celles qu’on passe dans le berceau. Et puis, p.54: Il ne nomme pas ce qu’il touche mais il comprend beaucoup de choses. Et puis, Guillaume parle avec les yeux, intensément. Sa maman y voit pourtant de la souffrance. L’enfant n’exprime pas avec des mots et dans ce rien, il y a un silence qui hurle.

Et cette simple formule, p.70, qui résume beaucoup de choses: Le petit garçon voit ce que nous ne voyons plus. Il vit pleinement dans l’instant, tandis que nous sommes pris par l’écoulement du temps. Temps de l’enfance, paradis perdu…

Vous m’excuserez pour ces nombreuses citations. Cet arbre, ce livre, je tenais vraiment à vous y faire goûter. Mais rassurez-vous, je n’ai fait que grappiller, il reste encore beaucoup de fruits sur l’arbre… Il reste surtout le plus pénible, le récit proprement dit. le récit du début de l’autisme, tout d’abord, combien douloureux, et qui laisse les parents perplexes. Car on ne naît pas nécessairement autiste. Et puis, tout ce tissu d’angoisses quotidiennes, car l’enfant autiste est très mal adapté aux nécessités de la vie  surtout dans ce monde devenu si compliqué qui est le nôtre, et qui mène tant de personnes adultes, âgées surtout, à une autre forme d’autisme. Et puis, ce sera l’accident, malgré toutes les précautions, et ce vide cruel et si soudain…

Le livre se terminera par un tour d’horizon, une réflexion assez poussée sur la place de l’enfant autiste dans sa famille, dans la vie moderne,

Un maître livre, un hymne à la beauté du monde, à l’amour entre mère et fils, mais qui garde, à chaque instant, un regard sur les difficultés du quotidien.

Les illustrations sont remarquables.

Joseph Bodson