Olivier Terwagne, Momentanément absent, Bruxelles, Traverse, 2020, 108 p. (10€)

Comme un ludion ludique au cœur du langage

Olivier Terwagne est un homme de langue qui, n’en respectant pas les règles, devient un homme de parole. Il utilise la syntaxe et le vocabulaire de l’une ; il s’ébroue au centre de potentialités de dire en transgressant l’une et l’autre, en  jouant avec et sur les mots.

Il lui arrive de verbaliser un nom (« je silence »,  « tu tables rase ») ; Il s’amuse des homonymies (« faux sang blanc ») . Il savoure les néologismes du genre mots valises («poéthylique »,  « circonfessions »). Il ne dédaigne pas les approximations par associations implicites (« les culs de sac se font du pied »), ni les à-peu-près calembours ( « le râteau de la méduse »).

La musique de la langue lui importe davantage que la logique de sa grammaire : « introduction sans plan / sans connecteurs / logiques / ne suivre que les in- / dications / (menottées) / soumises / à la diction […] dérapage / digression/ hors sujet / HS / hors services ». Les allitérations amènent leur mélodie comme « toutes les époques sont opaques » ou « passages sans péage » ou « l’émotif est son leitmotiv ».  Il ne dédaigne pas –  il en fait la remarque prenant ainsi distance avec sa propre écriture – les hypallages et par conséquent les écarts qui créent un signifié inattendu à travers leurs associations telles que « les soutes à barrages » ou « une famille d’écueil » voire « quelques tickets de métro / avortés ». Et si nécessaire, il a recours à la répétition par anaphores afin de mieux scander ce qui l’obsède.

 Ses registres sont susceptibles de passer de l’argotique au précieux, du familier à l’administratif, du vulgaire à l’héraldique. Son écriture s’apparente à ce qu’il dit du palimpseste : « Texte sacrifié. Non pas un texte qui ne dit pas son nom mais un texte qui dit plus que son nom. Plus d’une langue. Sens disséminé. Sédimenté. » Son humour décalé l’amène même à y glisser des informations qui dévoilent ses recours à une grande diversité de procédés, comble de la mise en abyme puisqu’il s’agit alors de créer un objet littéraire tout en révélant les recettes qui le composent.

Toute cette pratique semble n’appartenir qu’au jeu. Derrière, cependant, il y a le vécu qui se décèle en filigrane. Celui d’un individu qui s’en va vers un ailleurs escompté meilleur lorsqu’il pourra dire « je disparais enfin des radars / dans le hameau des grands départs ». Un individu qui nous incite : « au pays des mal de vivre / dans ce désert en plein été / prière de me suivre ». Qui se dit qu’il faut quitter le «pays des j’aurais dû », qu’ « au casino de la relance /tu gagneras peut-être au change ».  Qui nous suggère de « renoncer aux révoltes toutes faites / proposées sur un compte amazon » et de « ne rien céder aux pièges du binaire ».

Pour Terwagne écrivain, « les mots sont plus que des outils, ils ouvrent un monde pétri d’histoires et de dialogues mouvementés entre les hommes et la nature ». Il mêle prose et vers, libres ou rimés façon rappeurs.  Il a fait le « Deuil d’un récit unitaire pour nos vies fragmentées. » et propose une cinquantaine d’échantillons de vie.

L’auteur de Mal blessée  ( www.areaw.be/olivier-terwagne-mal-blessee-bruxelles-traverse-2017/ ) nous  en fait confidence à la fin de ce volume dont le sous-titre est « Récits d’un temps volatile », il a pratiqué la parrhésie, cette forme de discours où franchise, liberté et ouverture amènent, selon Michel Foucault,  « à dire ce que il faut dire, comme on veut le dire, quand on veut le dire, et sous la forme qu’on pense nécessaire pour dire », quitte à ce que l’ensemble paraisse un peu fourre-tout, plus ou moins foutraque. Chacun y picorera selon son humeur, son ressenti à propos de l’enfance, de la mort, de l’amour, de nature, de dérives, de résistances …

Michel Voiturier (02.06.2021)