Patrick Devaux, Le trou de ver, poèmes, Le Coudrier, préface de JM Aubevert, illustrations de C Berael (60 pages, 2023, 16 euros)
« Il traîne des parfums qui furent des présences« , cette citation de Gérard Prévot en épigraphe lève un coin du voile du nouveau recueil de poèmes de Patrick Devaux, introspectif, mystérieux, très prenant, au ton grave, parfois presque angoissant.
L’on ressent l’absence, très présente, qui lui tend la main, se rappelle sans cesse à lui en flashs aveuglants comme des phares sur une route de nuit.

Le titre est particulièrement bien choisi. Les trous de ver, terme d’astrophysique (défini au début du recueil, mais phénomènes encore en partie inexpliqués), permettraient à des voyageurs de l’espace de se déplacer plus vite que la lumière entre deux points extrêmement éloignés l’un de l’autre ; sortes de ponts entre deux régions différentes de l’espace-temps, ils contribueraient à former un raccourci..
Il en est ainsi de la mémoire, qui fait surgir, après des années infinies, des instantanés, au hasard d’un paysage, d’un faisceau de lumière, d’un rien dans l’air.
Le passé revient, insaisissable. Images figées et en même temps flottantes, obsédantes.

Les questionnements sont partout, dans les mots et entre les lignes.
Un geste de trop, ou au contraire celui qu’il aurait fallu faire, on ne sait plus, on ne sait pas.
« ce qu’on sait/des choses/c’est parfois/de/se faire/éjecter/de/son âme/au bon moment/pour/retrouver/le geste/retenu ».

Le poète s’exprime beaucoup par métaphores et symboles : l’insecte aux coups d’ailes hésitants, aux ailes brisées ; la louve aux yeux jaunes (le danger, le destin, l’ironie du sort ?) qui « mord dans ses pensées » ; les phares ronds qui « éclairaient une villa docile, qui ont sursauté et se sont rangés sur le côté » ; l’arbre à la branche cassée, « devenu transparent de l’autre côté des choses » ; et le lac, avec « les traces de pas dans la boue (qui) se souviennent bien du demi-tour ».

L’écriture en tant que telle est l’un des thèmes de ce recueil intimiste. Le poète peut-il rattraper avec les mots ce qu’il sait perdu mais qui perdure dans le cœur ?
« écrire /est devenu/l’obsession/d’avoir/ baissé/ la vitre/ dans le silence/ d’un soir/ de /brume/ tandis que/ la louve/ regardait/ de l’autre côté/ des choses ».
L’écriture laisse inconsolable, « mettre des mots à tout n’a pas mieux fait voler l’insecte » et ne sait pas tout dire, « j’ai tant écrit après avoir si peu su dire »…
Mais sans doute, sûrement, les mots peuvent ils, apporter leur part de vérité. Et ils ont tant à dire encore:
« tout n’est
pas perdu
il a
dans ses ailes
d’or
retenu
les mots
non-dits ».

Martine Rouhart