Pierre Stival, La caravane attachée à une Ford Taunus, Amougies, Cactus inébranlable, 2020, 96 p. (10€)

 

Pérégrination d’une solitude sur un chemin de vie

Plan général du lieu à la première page de ce roman : une rue. En compagnie du narrateur solitaire, « Des mots se forment et bruissent pour dire des choses fragiles ». Plus tard, le narrateur avouera : «  je reconstitue des tranches d’existence ».

Entrer au n°29, c’est entrer dans l’insolite et être entraîné dans un fondu enchaîné qui nous amène au n°123. L’atmosphère est suscitée. Ce qu’on y aperçoit, entend, perçoit se trouve subtilement dans une étrangeté que souligneront, à travers tout le livre, çà et là, des adjectifs qualificatifs décalés.

Le temps s’arrête. Repart. Au passé ? Au présent ? Il s’avère étiré ou rapide, c’est selon. Pourtant, le narrateur « essaye de rester dans le présent » et même, il a « pris le temps d’avoir du temps pour avancer » sans omettre qu’ « il souffre de vivre en des temps différents ».

Sans dévoiler véritablement son identité, il nous emmène dans un désordre cadastral permanent d’un immeuble à un autre. Quelquefois il doute de ce qu’il voit, entend, sent. Nous amène à douter avec lui. La rue le rend  «aveuglé par ces droites qui semblent se rejoindre en un point inaccessible ». Il va, un peu comme le soldat qui, dans le roman « Le Labyrinthe » de Robbe-Grillet, arpente sans cesse les rues d’une cité inconnue.

Il se perçoit inapte « à reconstituer les morceaux  de ce qui existe » car il se sent en porte-à-faux entre mirage  et réalité. Son « esprit s’ouvre au possible » tandis que le verbe « sembler » revient, récurrent. Sans cesse, un jeu de basculement se produit entre des lieux, des temporalités, des souvenirs et du vécu immédiat qui se succèdent en une continuité de discontinu de manière plutôt systématique.  Cela tient du puzzle. Le passé vient narguer à moins qu’il ne « s’enlise sur les murs poisseux ». Le présent inquiète. Des éclairs de futur surviennent parfois, prémonitoires. Nous voici dans « un temps élastique sans queue ni tête ».

L’absurde guette lorsqu’il est question « de trouver au plus vite des solutions à des problèmes inexistants ». Cet univers, par instants, ressemble à celui de Jérôme Bosch et peut-être à celui d’Alice au Pays des Merveilles, côtoie des fantasmes sexuels. Ce qui est sûr cependant, c’est que les histoires, Stival désire « les faire durer, pour cimenter les moments qui glissent entre nos doigts

Est-ce le narrateur, est-ce un protagoniste, est-ce l’auteur qui « invente, construit des séquences d’existences, des dialogues probables, prête des intentions, commente son imagination » ? La fin répond de façon inattendue quoique logique. Encore que, serait-ce vraiment une réponse à ces histoires ou la réponse de ces « histoires en poupées russes » ?

Michel Voiturier (08.01.2021)