Tristan Alleman, Sarabandes et autres cabrioles,poèmes Le chat polaire, Louvain-la-Neuve, 2019

De petits poèmes en prose, ou bien si vous préférez, quelques pas de danse, sur des airs variés et assez anciens, des danses qui se sont perdues au fil des temps, et que l’on retrouve parfois dans les mouvements des concertos et sonates de naguère…Et c’est bien vrai qu’il y en a pour toutes les musiques, tous les temps, des rapides, des légères, des essoufflantes  comme ces gigues dont on sort rouge pivoine, comme après avoir couru.

Un genre qu’il a inventé pour lui tout seul, le coquin, et qui lui va particulièrement bien. Il s’en dégage, sans faire mine de toucher à rien, un bel air de nostalgie et de nonchalance, quand ce n »est pas de sourire ou de sur-rire. Non, pas de ces contrepèteries bruyantes et fastueuses, à la François Rabelais, mais de brèves notations, évanescentes, qui viennent de loin, dirait-on, de l’horizon des bois, qui s’approchent, et s’éloignent de nouveau, et qui requièrent une oreille particulièrement attentive.

Je ne puis mieux faire que de vous en faire écouter l’un ou l’autre écho. Dans sa préface, Daniel Godart évoque très justement Erik Satie, et je suis sûr que Tristan – tout comme ses homonymes Corbière et Derème – pourrait occuper dans nos lettres cette position un peu à part, cette chapelle  collatérale où la foule ne se presse pas, mais où les connaisseurs – rares – se croisent en échangeant un clin d’oeil. Ecoutez-le plutôt:

Bouddha

Une chaissure n’est jamais seule. Sauf aux étals des boutiques. Vous me faites marcher? L’usure de vos godillots n’en sera que plus sérieuse. Faites corps avec vos pieds. Ils furent nombreux à les dire bêtes. D’autres comme Prévert les encensèrent. Bouddha aurait apprécié. Ce grand philosophe ottoman  adorait l’odeur des bâtonnets qui se consument et partent en fumée Ils lui permirent d’atteindre le Nirvana. Cet endroit inconnu est très difficile d’accès. Il faut suivre un chemin rocailleux, long, difficile, parsemé d’embûches.Il faut être bien équipé. Surtout de bonnes chaussures.

(dans Prélude)

Le clair 

Je vous tendis la lune, d’une main sûre. Vous ne vous y attendiez pas. On ne reçoit pas un astre tous les jours. Vous me direz que ce n’en est pas un et vous auriez raison. Je n’avais pas envie de vous offrir un satellite. Vous méritez mieux que cela. Je n’avais pu saisir Neptune – trop loin. Ni Mars – trop chaude. Quant à Jupiter – trop grosse. Me parleriez-vous d’Uranus – trop bleue. Qu’importe Vénus – trop ronde. Il me restait la lune Beau leurre! Je n’avais pas le choix Elle se montra conciliante. Très. Du bout des doigts, je vus l’ai offerte.Tant pis pour ceux qui maintenant voudraient se promener à son clair.

(dans: Gavotteà

A consommer sans modération.

Joseph Bodson