Tristan SAUTIER Vrilles poèmes éditions Le Coudrier Illustrations de Liliane Gordos (2022,18 euros, 98 pages)

Avec une vivacité oppressante à la façon de Baudelaire, l’auteur prétend « enchanter l’abjection », conscient qu’entre aboutissement et naissance quelque chose de grand s’active avec un « crâne souriant ».
Il nous incite à vivre pleinement notre bref instant de vivant, croyant à une « chute de poème » qui lui semble être une survivance possible avec, à terme, le temps pour vainqueur.
Le temps des colombes n’est point entièrement nié mais « la folie des lettres secouant les noms » prédomine.
En lisant j’ai fortement songé à « La chute des anges rebelles » de Pieter Brueghel l’Ancien, tant le système apocalyptique est prenant.
L’auteur serait-il prédicateur de cet infini qui sied trop bien à notre époque ? Ce n’est pas pour rien que le poète cite (notamment) Dylan Thomas en une sorte de calligramme suggérant peut-être l’expansion, le temps passant avec « des désirs non concrétisés » malgré une sensation initiale parfois proche d’ « Alice » à la découverte de profondes étrangetés.
Vrilles et nœuds procèdent de la même contrainte et tentative d’échapper à la béance, le vin « gardant (garde) le poète fou » dans sa vrille qui ne peut qu’être descendante.
Seul le recours à l’Amante paraît sortir l’auteur de sa torpeur d’être pour « recueillir mieux que/ les larmes la pluie profonde et longue/ qui lave de l’ennui » avec un ton rappelant « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire « dans l’horizontal désespoir d’aimer/…/ quand dans la réalité les corps/ à terre roulent comme une vigne/ démente de se savoir mortelle ».
Apprécions cette « fête charnelle/ future brassée de bois pour la mort », avec « elle pour ultime rêve ». De puissantes références musicales ou littéraires parcourent cette œuvre avec parfois d’étonnants raccourcis comme le rappel de l’écrivain symboliste Albert Mockel ou quand l’auteur fait allusion au « trou de verdure » d’Arthur Rimbaud, le point commun des références étant sans doute une certaine convergence visionnaire.
Avec ses très brillantes illustrations colorées, Liliane Gordos confirme l’élan physique et cosmologique de la puissante conviction de l’auteur à évoquer parfois notre finitude à la façon de, par exemple, feu le poète Jacques Demaude.

Patrick Devaux