Pierre Caussat, Variations philosophiques et sémiotiques autour du langage. Humboldt, Saussure, Bakhtine, Jakobson, Ricoeur et quelques autres. Textes réunis et proposés par Driss Ablali.Academia/L’Harmattan, Sciences du langage, 465 pp.

Un livre dense et touffu, mais qui reste d’un abord assez simple, et qui a le grand mérite de mettre en perspective linguistique et philosophie (l’auteur a été l’assistant de Paul Ricoeur à l’Université de Nanterre. De plus, il étudie de façon approfondie des philosophes, des linguistes russes ou allemands moins connus en France, tels Bakhtine, Wundt, Humboldt ou les précurseurs que furent Fichte et Leibniz. De quoi revisiter un champ d’études qui fut bouleversé par le structuralisme.

Le point de départ est situé très haut dans le temps, l’universalité et la diversité chez Aristote, la donation des noms par Adam. Dieu parle-t-il? Et les noms seront-ils donnés en accord avec lui ou selon son bon vouloir? Et ainsi, au fil du temps, de Nicolas de Cues à Pétrarque, le problème restera en discussion, et matière à bien des controverses, à commencer, bien sûr, par la tour de Babel. L’homme est, en quelque sorte, un second dieu. Une exploration conjecturale du monde, visant à rejoindre l’objet par approximations successives, à distinguer et à classer.

Viendront Humboldt et Herder, qui s’attacheront à l’origine de la langue, non du langage, en rejetant l’origine divine aussi bien que l’origine animale. L’homme et la langue, ici, vont s’inventer mutuellement. Pour Humboldt, c’est la langue qui façonne la pensée. Une langue incarnée, maintenue vivante par la nation qui la parle. Il refuse la vision sensualiste des philosophes français du 18e s., et sa théorie sera fortement marquée par son séjour au pays basque.

Et l’on en viendra, avec Whitney, à la conclusion que les langues ne se modifient pas en fonction des sujets parlants: ce sont des institutions, qui relèvent de la culture. Les langues populaires, les langues parlées ont un rendement social directement observable, ce sont des langues très variables. De cette façon, on écarte à la fois le sensualisme du 18e s. et l’idéalisme de Leibniz.

Bien d’autres querelles encore, ainsi celle qui oppose Schuchardt aux néo-grammairiens, à propos des lois phonétiques. Et puis, Saussure, qui déplacera le rapport entre le signifiant et le signifié. Et l’on verra ainsi combien l’œuvre de Herder aura été fertile, à la source de Humboldt autant que de Hegel.

Viendra enfin une belle étude sur Paul Ricoeur, la sémantique et la sémiologie, l’influence de Husserl. Le langage avait toujours été réduit au rang de serviteur de la philosophie, c’est donc à une véritable révolution copernicienne que notre époque nous a invités.

La philosophie depuis Hegel a dû affronter toutes les sources possibles du soupçon, mais à présent, elle est en mesure de soupçonner elle-même. Et l’herméneutique, depuis Husserl, prendra ainsi une place sans cesse croissante, dans la tension du saisir/dessaisir qui résume l’histoire de la philosophie.

Joseph Bodson