Arnaud Delcorte, Tjukurrpa,   poèmes, Illustrations : peintures et dessins de Kevens Prevaris, éditions ERANTHIS 2019 (20 euros)

J’hésite à appeler « poèmes » cette grandiose manière de penser où le geste parfois simplissime illumine le propos quand, en effet, le feu d’une cigarette peut faire office, dans l’esprit de l’auteur, de Prométhée.

C’est que quand « le banjo crépite/ dans son (ton) cœur/ de petite éponge perdue », l’autre, l’être aimé, est omniprésent, y compris dans la fixité des objets où les éléments de vie ou de décor suggérant le mouvement se figent en souvenir photographique comme avec ces « papillons restant cois à l’abat-jour », figeant la lumière sur un moment précis en statufiant le vol, rendant l’image fixe essentielle.

Si « cœurs de papier » il y a, ils battent à l’unisson.

Jouant du son, l’auteur rend sa démarche audible, musicale par suggestion quand avec « la pertinence des anges/ avec l’impertinence en plus/ un mot suffirait ».

Dix jours de réflexion intense avec en soi le dosage maîtrisé d’une certaine immensité où s’activent les atomes des « écailles dorées/ du souvenir ».

Comment ne pas songer à Da Vinci, remercié d’ailleurs par l’auteur, quand il écrit :

« Ecritures à l’envers/ l’encre s’étale » ?

C’est en « restant (je reste) enceint » que l’auteur semble assumer son être profond, quand les propos oscillent entre érotisme partagé et « énergie/ laissée aux mains noires/ du monde ».

On comprendra enseignement et sagesse à travers « les sept voies du royaume intérieur ».

Poésie méditative mais pas seulement car l’action fort présente charnellement est clairement énoncée avec, par exemple, « sexe/ fait/homme » ou encore « courir les jupes des filles/ ou celles des garçons/ rire aux lèvres ».

Les textes respirent à la fois de bonheur, de nostalgie, d’espaces, d’instruments musicaux souvent à cordes et de références mythologiques détournées pour les référencier dans l’actualité personnelle.

L’Amour est un voyage. L’auteur le rappelle bellement : « Le goût de Tahiti/ le goût de Tokyo/ le goût de tes lèvres ».

L’essentiel d’Arnaud est là, dans les mots.

Les œuvres de Kevens Prevaris accompagnent judicieusement les textes avec un subtil jeu des formes géométriques juxtaposées ou imbriquées de façon suggestive avec aussi un mélange des genres correspondant parfaitement à l’esprit du texte.

Patrick Devaux