Philippe Colmant, Ciel et terre remués, Demdel éd., 60 pp, 12 €

Philippe Colmant, que nous vous avons présenté  récemment dans la revue, persiste et signe.  Un style très ouvert, très libre, sans jamais verser dans la facilité, précis, concis. Des métaphores bien choisies et qui font vibrer ses textes.

Je ne me souviens pas d’avoir lu de plus justes évocations du confinement dans lequel nous vivons: Ainsi, p.5: Rien ne va plus, Tout est précaire. // Creuse la terre, / Ferme le ciel / Et ne m’embrasse plus.// Remplis tes sacs de sable / Et ta gourde d’eau fraiche. / Les jours vont être longs / Et les nuits, pathétiques. Chaque mot ici pèse son poids de vie ou de mort, chaque mot compte , rien n’est inutile. Ou bien encore, en page 6, ces quatre vers superbes: La peur est un enclos / La peur est une enclave, // Une bête sauvage / A porter sur le dos. Le passage lui-même à la strophe suivante, alors que la phrase n’est pas terminée, a son importance: divorce de la grammaire et de la métrique, déchirure dans la vie, et la fin pèse de tout son poids.

Un long divorce du jour et de la nuit, de la pluie sempiternelle et des instants de lumière. Ce contraste de l’ombre et de la clarté est présent dans tout le recueil: p.9: C’est la vie au rabais, / La vie comme elle tombe, / Un combat ordinaire / Pour gagner du soleil / Dans la tranchée du jour / Où la pluie change en boue / Les rêves interdits. Et, p.10: La vie confine à l’ombre. p.15: Et vieillis chichement /Dans la lumière étrange / De ce printemps mort-né. p. 36: Regarde les nuages! / On dirait que le ciel / Descend en parachute / Sur la terre embourbée. Encore une fois, tout cela, cette lourdeur même, cette pesanteur est évoqué à petits traits, à petits mots, et il en va de même du silence, autre thème prégnant du recueil.  Et, comme en un tournoi médiéval, les adversaires: p. 12: Les mots sont des rebelles, / Des révolutionnaires. Et puis la lumière, le soleil, et l’oiseau: n’oublions pas que notre grand-père Noé envoya de l’arche une corneille noire, qui ne revint pas, et puis une colombe blanche, qui revint, un rameau d’olivier au bec. Oiseau de paix, mais aussi de lumière. En contraste, au centre du livre, dessins de l’auteur, des masque d’ombre: déchiquetés, difformes, crochus, bec d’aigle et menton en galoche. N’est-ce pas pour célébrer, justement, cette victoire de la clarté que furent inventés, en début de printemps, les masques et leur carnaval?

Je me rêve vivant / Ni en mer ni sir terre / Mais passager du ciel / Dont j’ai bu un grand verre. // J’entrerai dans la nuit / Le visage gracié / Enfariné de lune,/ Le nez poudré d’étoiles.

Comme si les fossoyeurs du ciel, après avoir Ciel et terre remués, nous introduisaient dans une nouvelle clarté…

Joseph Bodson