Jean Jauniaux Le pavillon des douanes nouvelles éditions du Sablon- Weyrich (2023, 14 euros ) , préface de Jacques De Decker ( 1ère éd Luce Wilquin, 2006 pour Le Pavillon des douanes, 2007 pour les autres nouvelles sous le titre Les maraudeurs de l’obscur)

Jean Jauniaux n’écrit pas seulement ses nouvelles. Il semble les raconter tant le ton en est unique.
Il invente en disant la vérité à moins que ce ne soit le contraire en écrivant de la fiction très vraisemblable. Tout lui fait farine au moulin et surtout un environnement immédiat où, très souvent, il interpelle le lecteur en ami : « Ami lecteur, le spectacle dantesque de la Senne – on dirait un cauchemar jailli du Moyen-âge – que je tente de te décrire n’est qu’un pâle reflet de ce que la ville a enduré depuis deux ou trois « générations ». Tu le sais sans doute, le temps se mesure à présent en « générations ». Les jours, les semaines et les ans ont été abolis, de même, bien sûr, que les saisons. A quoi bon des « saisons », en effet ? »
Parfois un côté sociétal, voire avec le sens de la prédiction, parcourt les nouvelles. C’est que notre nouvelliste sait y faire, puisant pour son arche de Noé littéraire, aux sources de ses propres références culturelles ou pseudo journalistiques. Inventif, il devient ainsi le reporter d’évènements à la limite de la crédibilité, le lecteur se demandant si l’évènement est ou non réel, si les faits historiques sont avérés, tant l’auteur s’implique, avec brio, dans les circonstances.
Il s’en délecte d’ailleurs : « L’expert alternait avec dextérité silences et bénédiction. Il se complaisait dans la gestuelle qu’il investissait d’une solennité vaticane. Il s’écoutait parler. Il s’aimait parlant ! « Vous Vénérables Académiciens, serez les archers de ces flèches invincibles ! Vous serez les Croisés de notre ère ! Chacun d’entre vous en vos grades et qualités/…/Le débat porta sur la manière de contrôler, d’évaluer, de mesurer (et donc de sanctionner) l’acte de penser ».
Très Belge dans ses évocations, l’auteur nous emmène ainsi entre le pont Van Praet (Bruxelles), Ecaussinnes et sa chère St Idesbald , parfois moralisateur, presque fabuliste, parfois gastronome ou poète par ses évocations, rêveur et qui sait s’il n’est pas une sorte de « Nostradamus bis » poussant l’évènement culturel, folklorique ou historique à son paroxysme : « Cher Georges/…/ Nous sommes à la veille du combat. Je ne vais pas rabâcher d’anciennes histoires. Tu en as une vision tellement approximative. Et puis, leur complexité est telle que le temps nous manquerait pour venir à bout de leur étude et de leur compréhension. Je suis un utopiste ». Dans sa préface Jacques De Decker parle d’« humour suave ». Qui connaît l’auteur reconnaitra là un des traits de caractère dominant du nouvelliste au sens descriptif avéré.

Patrick Devaux