André Doms, Topiques pour le monde actuel, Billère, L’Herbe qui tremble, 2020, 142 p. (17€)

Épistémologie du présent : un diagnostic cinglant car lucide

À examiner le mot ‘topique’ qui introduit le titre, on suppose volontiers qu’il renferme les intentions d’André Doms. Il désignait autrefois un médicament appliqué directement sur le corps. Autrefois encore, dans le domaine de la rhétorique cette fois, il signalait un lieu commun. Dans la linguistique, plus récemment, on l’utilise en tant qu’adjectif s’appliquant à une transformation entre deux états narratifs. Ces pistes-là annoncent donc un ouvrage destiné à nous suggérer une médication nouvelle susceptible de s’appliquer aux troubles de notre époque afin de l’immuniser. Alléchant et vaste programme !

L’auteur écrit dense, se nourrissant parfois des virulences de la verve du pamphlet. Il brasse large à partir de l’Histoire, de la littérature, de la philosophie, des arts et des nombreux voyages qu’il fit. Il part d’une image, celle d’ ‘empire’ – qu’il qualifie de métonymique – pour désigner tant le fonctionnement global de notre monde que celui de nos démocraties occidentales et de nos institutions internationales. À travers ce choix, apparaît très vite que les conceptions sociétales en évolution séculaire, si elles ont amené des progrès sociaux et politiques, ont toujours été imparfaites tout en faisant mine de ne l’être pas. Celles du présent n’échappant évidemment pas à cette évidence que nombre d’événements liés à la politique internationale révèlent.

Elles témoignent en tout cas « du pouvoir insatiable des êtres voire des choses sur l’homme. » Elles se marquent de plus en plus de l’hypothèse où « une figure charismatique charrie un populisme autour de promesses sur écran, sans analyse ou substance sociale ni morale ». Le spectaculaire s’impose au détriment du bien être des individus. Les avantages acquis par les rebellions collectives sont rognés sans cesse au profit de ceux qui manipulent les technologies qui « font croire à la réalité de l’illusoire» sans pour autant donner du sens à l’existence.

Prendre du recul est chimérique face à « un état d’urgence permanent», « un instantanéisme de mauvais aloi », ce que Doms baptise aussi du nom de « présentisme ». Nous voici donc « sous le gant numérique, la poigne totalitaire du capitalisme.» qui génère « l’égoïsme d’individus esseulés ». Il formule aussi ce postulat qui mérite qu’on y réfléchisse, à savoir que «l’occidental formaté vit sur des reliquats et des prédictions. » tandis qu’on ne cesse « d’alterner promesses et  peurs».

Doms s’interroge également sur l’inadéquation présente qu’est devenu le trio de concepts du siècle des Lumières : liberté, égalité, fraternité.  Il constate que l’école « a été contaminée par la concurrence et la démagogie» et que, par conséquent,  « l’enseignement se fait fonction subalterne, en tous sens dépréciée ». Il s’insurge contre le communautarisme basé sur une prétendue identité « manipulée et illusoire » qui, entre autres, alors que l’histoire a connu tant d’invasions qu’il explicite, rend inextricable le problème des migrants.

Et, avec le sens qu’il a de la formule choc, l’auteur résume la situation par un « L’Occident sait qu’il en arrive à son propre occident.» : simplement passant d’une majuscule à une minuscule, d’un nom propre à un nom commun, il condense le fait qu’une entité de civilisation aboutit à un déclin, son déclin. Celui-ci vient de l’intérieur : décrédibilisation de la démocratie particratique ;  oligarchie ploutocrate programmant une « décivilisation » générale et menant à l’autodestruction par le heurt entre « les axiomes idéalement progressifs du libéralisme […] incompatibles avec les rythmes et les limites de l’extension économique ».

L’essai d’André Doms a donc tenté de mettre « des mots sur les maux de nos bas-empires ». Il a démonté des mécanismes historiques, politiques, économiques, sociologiques ; il a esquissé des pistes de réflexion et d’action. Au lecteur de prendre le relais.

Michel Voiturier (26.04.2021)