Anne-Catherine Deroux, Si vous la voyez, Academia, 2021.

 

C’est avec un réel bonheur qu’on lira  Si vous la voyez, un livre fort bien fait, bâti sur cette idée pleine de mystère selon laquelle une île habitée se dévoilerait sur la Sambre à hauteur de Floreffe, comme ça, quelquefois, selon son désir à elle, car elle aurait une personnalité, cette île, celle d’une femme, celle même d’une mère. Ce mystère sert d’intrigue. Il n’y en a pas d’autre. Il a cette faculté de maintenir l’attention tout au long des pages. Il a la beauté de ce brouillard qui est évoqué au cours du récit, ce brouillard qui monte de temps à autre de la rivière, un brouillard qui « gomme les imperfections du monde », qui « feutre les sons, met les sens aux aguets » et « invite à croire à l’impossible ». Car c’est à cela que le livre invite le lecteur : à rêver de l’impossible. Un impossible qui serait toutefois à la lisière du possible, un rêve d’autre chose, d’un monde idéal qui serait en même temps à portée de la main, un monde à l’écart d’une civilisation trop avancée, celle de l’Occident, un retour en arrière vers plus d’authenticité, un rêve d’harmonie, d’une vie plus simple, plus généreuse, plus riche en rapports humains. Un homme, Marc, venu de notre monde, en fait l’expérience et en est séduit au point de renoncer à l’univers d’où il vient. Sa vie, dès lors, est un enchantement… jusqu’au jour où s’exprime en lui un sentiment contraire à ceux qui prévalent dans l’île, contraire à l’empathie, à la générosité, à l’esprit d’entraide qui y règnent : le sentiment négatif de la jalousie. Finalement, l’île se dérobera à ses regards et il en sera exclu. Mais l’histoire ne s’arrête pas là si l’on est attentif au titre, car, il le sous-entend, tout est encore possible : l’île et tout ce qu’elle représente peuvent se révéler à nouveau, comme si cela dépendait de la qualité de chacun, de sa volonté à suivre ce chemin du bonheur simple et fraternel.

Ce livre, à l’écriture claire, limpide et naturelle, charme par ce qu’il a de très féminin. C’est ainsi qu’au fil des pages s’expriment des valeurs plus particulièrement féminines comme la réceptivité, la bienveillance, la sagesse, l’affection, la délicatesse, à tel point même que le héros, pourtant bien masculin, en est imprégné. Rien d’étonnant à cela puisque ce roman est l’œuvre d’une femme, Anne-Catherine Deroux, secrétaire d’un milieu très artistique, le CAV&MA, autrement dit  le prestigieux Centre d’art vocal et de musique ancienne de Namur. Avec Si vous la voyez, elle signe un premier roman prometteur.

Albert Macours