Bernard Caprasse La dérive des sentiments  roman éditions Weyrich collection Plumes du Coq  2022, 384 pages, 18 euros)

Dans cette saga familiale l’auteur appréhende le milieu d’une certaine bourgeoisie où se mêlent intrigue, amour et manipulations tandis que les différentes époques, sont bien rendues, le 20 -ème siècle durant, avec le parcours d’Héloïse, bien née matériellement, partiellement infirme et suscitant toutes les convoitises.
Comme dans son roman précédent « Le cahier orange », l’auteur s’investit totalement dans ses héros scrutant avec une empathie très personnelle la profondeur des âmes révélée par les situations, sans oublier quelques références historiques desquelles le romancier est friand. L’inattendu semble devenir la réalité avec cette plume précise qui, à nouveau, resitue avec brio les lieux de la campagne ardennaise que connait bien l’ancien gouverneur de la province du Luxembourg.
Progressivement des mondes différents s’entrechoquent avec, notamment, la vision de Bertrand Taverneux, étudiant en droit et sa rencontre déterminante avec Charlotte Lasti, une jeune fille pleine d’idéal : « En novembre 1970, le ministre de la Justice décida l’expulsion des étudiants étrangers qui ne disposaient pas de ressources propres ou ne possédaient pas le certificat de bonne conduite délivré par leur pays d’origine. La communauté universitaire s’embrasa. A Louvain, une soixantaine d’étudiants et d’étudiantes entamèrent une grève de la faim. Charlotte Lasti, révoltée par la détresse de ses condisciples menacés de renvoi, rejoignit – elle était la seule fille – le comité en charge de l’organisation du mouvement ».
Ce roman, plein d’humanité avec notamment la perception des êtres pris dans le tourbillon de leurs destins croisés, donne une place prépondérante aux rôles des femmes, victimes ou intervenantes, à motiver ou subir cette « dérive des sentiments ».
Le destin, on le sait, a plus d’un tour dans son sac. Également l’auteur qui, jusqu’au bout de son intrigue mène le lecteur aux destinées qu’il a choisies pour ses héros tandis qu’une action pacifique, symbolique, vire au drame.
Le style de Bernard Caprasse bénéficie d’une dynamique interne propre suivant le récit, ce en quoi je le rapprocherais volontiers de celui de Flaubert avec, en outre, un vrai sens du dialogue courtement efficace :
« – Marc, peux-tu m’aider ?
Une atmosphère suspendue, des regards croisés d’une intensité acérée.
– Un jour, tu m’as secouru en t’accusant à ma place. Tu te rappelles ?
Oui, enfin, ce n’était pas grand-chose ».
Les chapitres, courts, sont, eux, ouverts à l’intrigue et au processus de continuité dans un style vraiment pur et quelque part innovant dans le ton.

Patrick Devaux