Collectif E.Natalis, Le Parchemin des écoliers, Des cahiers de rédactions racontent un village d’Ardenne il y a cent ans..., Mémoires ardennaises, 320 p., 31 €.

Ils s’appelaient Archange, Céleste, Ulysse ou bien Alphonse…Ils croyaient en Dieu, pratiquaient leur religion, croyaient au travail, à la patrie, et avaient pour leur instituteur la plus profonde admiration. Il faut dire qu’Ernest Natalis était un instituteur peu ordinaire: Ernest Natalis était né à Stoumont le 15 juin 1897. Diplômé en 1917, il entra en fonction à Stoumont en 1918, avec une classe de 30 garçons. Il se forgea une culture générale assez extraordinaire, apprenant huit langues,  Il obtint, en autodidacte, le diplôme de professeur de  l’enseignement secondaire inférieur, puis celui de l’Ecole normale. Il participa à des congrès internationaux de pédagogie et de didactique, à des mission d’éducation au Congo et au Rwanda. Il publia plusieurs ouvrages de pédagogie, des manuels scolaires, sans compter de nombreux articles. Il était, paraît-il, sévère, exigeant, aussi bien avec ses sept enfants qu’avec ses écoliers. Il était particulièrement attentif à un genre malheureusement un peu oublié aujourd’hui, la rédaction:, en se basant sur quelques idées-forces: Entre la langue et le milieu social, entre la langue de l’enseignement et la langue courante, il ne peut y avoir de barrière. Par le truchement des exercices d’observation et de l’étude du milieu familier,, la vie pénétrera dans l’enseignement scolaire. Tout devient occasion de parler et d’écrire. La langue de l’école perdra son caractère académique et littéraire pour devenir la langue vivante que l’enfant emploie hors de l’école. Le maître saura éveiller la pensée de l’enfant. Les textes choisis doivent se rattacher à un état d’âme de l’enfant, à une pensée en gestation….

Je ne fais que citer ici quelques-uns des points signalés  dans l’introduction de l’ouvrage, remarquablement exposés, avec clarté et simplicité., par Jean-Philippe Legrand. L’auteur y relève aussi l’influence de Piaget. Mais la pédagogie Freinet y est également présente, pat l’insistance sur l’apprentissage manuel, la fabrication d’un journal scolaire, les contacts avec d’autres écoles. Autorité, bien sûr, mais aussi et surtout attention prêtée à l’enfant. Un ancien élève dira de lui: Il était comme un père.

Il écrira encore: Le bon sens entraîne à sa suite la simplicité, la clarté, la précision, qui sont (…) les plus précieuses qualités d’une saine pédagogie. Et tout cela se traduira par le soin apporté à l’observation, l’étude du milieu, qui forme la base des « exercices réguliers de rédaction personnelle » C’est ainsi qu’il publiera « Notre gerbe », brochure publiée par les élèves grâce à une petite presse portative. L’importance de l’illustration est aussi soulignée.

On ne saurait trop souligner les qualités de cette introduction, qui donné la clé de l’intérêt porté à ce livre, publié grâce à la découvert faite par l’un des fils d’Ernest Natalis de ces cahiers de rédacation. Et les qualités de cette publication, reprenant d’abord les textes seuls, puis, en seconde partie,, des photographies des originaux, le tyout accompagné de nombre d’ illustrations bien choisies.

Mais qu’est-ce qui frappait donc les élèves de M.Natalis? Au hasard des pages, la vie des gens de chez eux: la vieille Maria Constant portant un fagot, et les enfants sont attentifs à la technique (mais oui…) de ce portage., l’arrachage des pommes de terre, la cueillette des fruits, source de revenus appréciables, la construction de la nouvelle église,, et l’observation attentive des gestes des maçons. La tenderie, qui n’était pas interdite à l’époque, la kermesse, les ruisseaux, les prairies, l’arrachage de la tourbe, l’ardoisière, la façon dont le boucher tue le cochon, le facteur, le bûcheron, la forêt, la fenaison, les soirées au coin du feu, les excursions, les forêts, la guerre…Rien ne leur échappe, et ils font eux-mêmes partie intégrante de la vie quotidienne du village.

Bien sûr, il y a çà et là des poncifs, quelques expressions maladroites, mais l’ensemble est remarquable, et l’on y retrouve l’autorité du maître dans la qualité même de l’observation et du rendu.. Une autorité qui est, en premier lieu, source de liberté, parce qu’elle leur fournit les bases mêmes de l’observation et de l’appréciation. Le rendu est vivace et varié, chaque enfant y est présent avec son caractère, ses marques personnelles, que l’on retrouve aussi bien dans leur écriture, telle qu’elle est reproduite dans la seconde partie du livre.

Un style souple et varié, malgré quelques raideurs parfois. Une excellente pratique du français, qu’enrichit, çà et là,, le surgissement d’un terme wallon, que ce soit à propos des outils, des gestes des métiers, ou des noms de lieu, auxquels le maître se montre attentif. Oui, le wallon est toujours là, bien présent, un simple appel le fait ressurgir. Il y a même l’un ou l’autre texte en wallon. En voici un, p..84: Dju va wârder lès vatches: Djûdi passé, nos-alins wârder lès vatches come on f’zéve duvins l’ timps. Mu papa, Albèrt èt mi tchèssins lès vatches è l’ wêde Çou k’ nos’nnè vèyins po lès fé d’mani è pré, ca èle n’avint nin l’êr d’avu faim! Oné brokéve chal, l’ôte biskéve du l’ôte costé. Noule nu s’atèléve po magni l’ wêde. / Mins m’ papa, on pô pus malin, èmantcha on p’tit balièdje dès deûs costés du l’ vôye po-z-èsse cwite du tant couri. Mâgré çoulà, èle nu nos lèyint nin one minute trankiles, ca d’on côp d’cwènes, èle râyint  lès deûs’ treûs pas. / Come cwètre eûres sonint à l’ôrlodje du l’èglîhe, nos lès rintrins à l’ èclôs. A pon.ne î èstint-èle k’èle atakint à brêre èt èle  su sâyint à spyî l’ balèdje. Anfin, non ‘nnè ralins po beûre lu cafè. (André Legrand, 11 ans, publié dans Notre gerbe, n°1, Noël 1938.)

Traduction: Jeudi passé, nous allâmes garder les vaches  comme cela se pratiquait dans le temps. Mon papa, Albert et moi, chassâmes les vaches dans la prairie. Ce que nous avons peiné pour les faire rester dans le pré, car elles ne semblaient pas avoir faim! L’une s’élançait ici, l’autre filait de l’autre côté. Aucune ne s’attelait à brouter. / Mais mon papa, un peu plus malin, bricola une petite clôture des deux côtés du chemin pour ne plus devoir se déplacer autant. Malgré cela,, elles ne nous laissèrent pas tranquilles une minute, car d’un coup de cornes, elles arrachèrent les deux ou trois pieux. / Comme quatre heures sonnaient à l’horloge de l’église, nous les rentrâmes dans l’enclos. A peine y étaient-elles qu’elles se mirent à beugler et essayèrent de détruite la clôture, Enfin, nous rentrâmes pour prendre le gouter.

Mais on peut rêver…Imaginons donc que nous soyons, à leur place, dans la petite école, assis sur les bancs étroits, et que ce soit nous que l’on interroge. Supposons, voulez-vous, que devant notre silence, l’instituteur nous dise: Tu n’as pas perdu ta langue, au moins? Que trouverons-nous à lui répondre?

Oui, on peut rêver…

Joseph Bodson