Daniel Charneux, Les oiseaux n’ont pas le vertige, Genèse édition, roman, 208 p., 21 €.

Daniel Charneux s’inspire assez souvent de la réalité, pour en extraire, non point une morale, mais une philosophie de la vie, qui rend ses héros pour ainsi dire exemplaires, ou exemplatifs. Coller au réel,, pour s’en détacher le moment venu, quand ce réel se met, somme on le dit souvent, à « dépasser la fiction »..

Ici, le destin, ou le hasard, si vous préférez, frappe par deux fois son héros, un homme très ordinaire, Jean Berthollet, habite Bois-Mesnil, un petit village ardennais, dont il aime le rythme lent, les paysages, les personnages; Il a un frère jumeau, Philippe. .Et puis c’est le drame. Passionnés tous deux de course en vélo, ils se lancent à fond de train dans un petit chemin cendré, en pente raide, où se trouve garée la voiture d’un vieux paysan. Et c’est le drame, il passe le premier, son frère essaie de le doubler en se glissant de l’autre côté de la voiture. Il l’accroche, et vient buter de la tête contre un poteau en béton.

Il n’est pire chagrin que la mort d’un être jeune. A de nombreuses reprises, Jean se dira: S’il était encore là…et c’est un défilé de découvertes, de souvenirs auxquels Philippe n’aura pas sa part.

Daniel Charneux excelle à évoquer l’écoulement du temps, en parsemant son récit d’instantanés, liés à la politique, au sport, notamment à la boxe, à ce Basque qui affrontera Mohammed Ali en championnat du monde. Ce Basque, qui peut soulever d’énormes pierres, est pour lui un personnage mythique, il servira de lien entre les deux parties du récit. De courts chapitres, sans lien apparent, parfois, des incises qui viennent ponctuer le récit, le font progresser sans qu’il y paraisse. Des phrases brèves, très simples, mais ou l’essentiel est dit, sans exclamations, sans effets de manches. Sa qualité principale: la sobriété, qui fait d’autant mieux ressortir tout ce que l’histoire comporte de dramatique. Et cette sobriété renforce d’autant la charge poétique des brèves incises qui viennent lui donner sens, ainsi à la page21: Je me rappelle avoir pensé alors: les oiseaux n’ont pas le vertige. Les montagnards basques n’on plus. L’aigle quand il plane, les plumes gonflées de vent, défie le soleil. L’alouette monte au sommet du ciel en poussant son tireli puis se laisse choir comme une pierre. A quelques mètres du sol, elle ouvre les ailes, atterrit en douceur.

Non, le vertige, il est réservé à nous autres, hommes et femmes de ce temps, de ce pays. Du temps, beaucoup de temps  a passé. Jean a épousé Mathilde, une enseignante, ils ont une fille, Chloé. Un ménage comme il y en a beaucoup, où tout se passe bien, à quelques anicroches près. Jean a toujours ce réflexe de songer à Philippe, cette moitié de lui-même disparue. Et la fatalité frappe à nouveau, une fatalité non pas aveugle, mais propre à notre temps, tout comme l’étaient, pour les années 1960, la ruelle en pente, la voiture en stationnement indu. Notre temps à nous? Internet, l’ordinateur, la communication à outrance, cette société de gloutons optiques que nous sommes devenus. La meilleure et la pire des choses, aurait dit Esope. Ces internautes fous, qui creusent au fin fond des cloaques de notre société, de notre nature, pour s’enivrer sans fin de ces longs cheminements. Chloé est partie avec un compagnon, pour une randonnée en pays basque espagnol, en ce village où vivait le boxeur dont son père lui avait parlé. Et c’est le drame: on vient annoncer à Jean et Mathilde que leur fille, ainsi que son compagnon, ont été assassinés. Ils se rendront sur place, mais il faudra longtemps pour qu’aboutisse une recherche poursuivie par un détective privé engagé par les parents…Pour Jean, ce coup du sort vient s’ajouter au premier. Il y aura résilience, un beau terme que nous avons inventé. Mais y a-t-il résilience vraie, comme pour l’alouette, à quelques doigts du sol?

Il nous dit ainsi, p.57: J’étais, bien sûr, ce petit blond qui cachait ses larmes et mon frère me disait: Va, je suis à tes côtés, je veille sur toi, pareil à l’ange. Je ne souffre pas. Je comprends ta douleur mais tu dois vivre à présent, pour toi comme pour moi. Il est vrai aussi que les anges aussi ont des ailes, des ailes de résilience. Des ailes qui bruissent doucement, quand le vent fait silence.

Joseph Bodosn