Daniel Soil, Agdez, dernière page, roman, éd. M.E.O., 15 €, 2022,125 pp, 15 €

Daniel Soil a été représentant de l’AWEX au Maroc de 2004 à 2008, et en Tunisie de 2008 à 2015., et ses souvenirs du Maghreb sont restés très prégnants, et ont inspiré plusieurs de ses romans.

Dans celui-ci, ce qui frappe dès l’abord, c’est la rencontre, on pourrait presque dire la coïncidence, des idéaux humanitaires et du sentiment amoureux chez les principaux personnages. Jean, le héros principal, a été envoyé au Maroc en tant qu’attaché culturel, mais ce n’est qu’une couverture: en réalité, il est chargé d’enquêter sur  l’assassinat de Johannes V., un personnage haut en couleur, d’origine hollandaise, qui est intervenu assez souvent en faveur des déshérités, des prisonniers maltraités, de tous ceux qui s’efforcent de gagner l’Europe pour y trouver des ressources suffisantes.  « Profitant d’ une pause de l’orchestre, une dame a élevé la voix pour évoquer Johannes et magnifier la passion mise par ce fonctionnaire à soutenir les réfugiés, les clandestins, qui erraient à travers le désert jusqu’à la Méditerranée , les barques qui chavirent, les corps sans vie échoués sur les plages, l’espoir qui brille au loin, sous l’apparence d’un fanal, puis qui s’éloigne si le cap ne peut être tenu. ».

Du coup, le récit prend toutes les allures d’une intrigue policière: Johannes a-t-il été assassiné à cause de son action en faveur des pauvres, des déshérités, ou bien par jalousie sexuelle? Il y a en effet un groupe de personnages importants, Européens surtout, un cercle qui prétend aider à l’accueil des nouveau-venus, mais derrière lequel se profile la silhouette énigmatique du commandant Mermoz, coiffé d’un casque d’aviateur, et qui se sert du souvenir des aviateurs de l’Aéropostale pour des activités d’extrême-droite.

D’emblée, Jean, qui se révèle très porté sur les plaisirs de la chair aussi bien que sur les autres jouissances sensuelles, tombe amoureux de son interprète, Aïcha, et nous serons entraînés à leur suite dans des fêtes, réceptions, balades dans le Rif, aussi bien que dans des concerts de musique traditionnelle, des récitals de slam, des réunions révolutionnaires…Tout un monde, piloté par d’anciens opposants au monarque précédent, qui, pour la plupart, ont passé pas mal d’années en prison.

Bien sûr, je ne vais pas vous donner le mot de l’énigme: je vous dirai simplement qu’elle nous est révélée à l’occasion d’un projet conçu par un militant: consacrer à des logements sociaux  une prison désaffectée et délabrée, celle d’Agdez. Entre-temps, nous aurons fait ce long voyage, bercés par ces épisodes prestement enlevés, où les parfums, les sons et les couleurs se répondent, un Orient qui n’a rien, ici, de superficiel ni d’artificiel, ainsi en ce portrait de femme, p.42: « Mais peu importaient ces joutes, l’essentiel était l’admiration qui se déployait en moi pour Aïcha, femme résolue aux vastes paupières, à la bouche triste et au front haut. » Dekobra ou Pierre Loti? C’est vous qui en jugerez, pour ma part je pencherais pour un Pierre Loti politiquement engagé. Disons, plus simplement, que c’est du Daniel Soil, de la meilleure facture.

Joseph Bodson