Rolet-Winance : deux Tournaisiens chez les Bruxellois

Deux artistes tournaisiens de la même génération, tous deux professeurs honoraires de l’Académie de Tournai exposent dans des galeries bruxelloises. Dans un lieu nouveau animé par Malika Es-saïdi, Rolet esquisse une mini-rétrospective ; dans un lieu rénové, Winance poursuit sa collaboration avec une galeriste depuis longtemps complice.

Rolet, sensuellement vôtre

Christian Rolet (Leuze 1945, vit et travaille à Tournai) donne à voir un échantillonnage de ce qu’il pratique. Il y a d’abord ces petits formats qu’il affectionne et lui permettent d’expérimenter des matières. Insertions de grains sablonneux, de rognures de métal, de poudre de mica, talc de verre ou autres en vue de permettre à la lumière de jouer sur les surfaces, de nuer les colorations.

Souvent carrés ou circulaires, façon tondo, ces tableautins concentrent des combinaisons formelles proches de l’abstraction avec, fréquemment, des allusions à du figuratif. De quoi stimuler l’imagination visuelle de celui qui regarde. Des titres tels que « Zone de turbulence », « Les caprices anatomiques » donnent des indices. Un plus grand format résume assez la démarche de Rolet. Intitulé « La petite maison dans la prairie », il ironise dans une touffeur de feu de forêt à propos de souvenirs de feuilleton télé nourri aux bons sentiments.

Parmi les couleurs choisies, le rouge s’avère sanglant, incandescent, irradiant. Le vert aura des allures végétales, fermentées, éclatantes. Le bleu se voudra nocturne, onirique, apaisé. À décoder en fonction de la composition, de sa sensualité.

Il est devenu aussi, au fil des ans, spécialiste de l’objet poétique. Non point un avatar du surréalisme, comme c’est souvent le cas chez pas mal d’artistes, mais bel et bien une sorte d’incarnation fantasmatique, une concrétisation de l’absurde. C’est le cas de cette main en train de sélectionner des masques de sommeil parmi une série de modèles  identiques. Ou ce quatuor digital, prothèse improbable à ficher sur un membre au moyen d’une pointe métallique, humour cynique pour situation ubuesque circonscrit par  une allusion graphique à ce qui pourrait être « La Marque jaune ».

Un humour plutôt noir convient à ce crâne coiffé d’une perruque à l’ancienne entièrement composée de plumes blanches. Un « Vaudou » rouge vif, résille campée sur pattes, semble aller vers la transe pour jeter quelque mauvais sort brûlant.

 Winance, écologiquement imprégné

Alain Winance (Tournai 1946, vit et travaille à Tournai ou sur la Côte d’Opale), après une longue période consacrée à la gravure, s’est remis à la peinture, celle de plein air qui va chercher le motif aux alentours des bords de mer, des marécages, des sablières, de la végétation. Son attachement au figuratif ne s’est jamais borné à calquer la nature.

Son réalisme n’est pas celui du détail minutieux. Il est de brume, de marées en mouvement, de nuages effilochés, de luminosité crépusculaire ou matutinale, de strates argileuses ou rocheuses, de sous-bois enténébrés. Il n’y a là nulle place pour l’homme et l’animal ; c’est leur décor, leur territoire  hors leur présence.

La structure de la plupart des toiles se révèle géométrique. Elle sert de support à des variations constantes vers des formes complexes végétales, minérales ou aquatiques qui dynamisent les panoramas offerts aux regards. Très loin des tableaux pour touristes désireux d’emporter une carte postale en souvenir, ceux-ci ont quelque chose d’organique, de vital en train de se transformer, d’évoluer.

Si l’entassement quantitatif aux cimaises nuit à la possibilité de se délecter de chaque œuvre, l’ensemble apporte des compositions où ce sont des moyens techniquement picturaux qui suscitent les atmosphères et non un hyperréalisme plus en phase avec l’urbain qu’avec la nature.

On songe aux maîtres flamands d’autrefois, on retrouve des pans de terroir dans la lignée de ceux que peignit autrefois un Roger Dudant. Les nuances sont composées de petites touches, d’accumulation de matières. Certains gros plans de branches ne sont pas sans rappeler des peintures asiatiques, ces kakemonos équivalents visuels des haïkus d’écriture.

Michel Voiturier

Art Stories, 73 avenue Louis Lepoutre à Bruxelles, jusqu’au 23 juin 2018. Infos : 0476 91 29 51 ou http://www.artstories.be/node/47

Galerie Marie-Ange Boucher, 5 avenue du Grand Forestier à Bruxelles (Watermael-Boisfort) jusqu’au 24 juin 2018. Infos : +32 479 31 34 80 ou www.galeriemab.com

Légende des illustrations :

Christian Rolet, “La bibliothèque de rêves” © AREAW M. Voiturier

Un paysage d’Alain Winance © AREAW M. Voiturier