Dominique Meessen, Qui cherches-tu si tard?, roman, Academia, 198 pp, 18,50 €

Un roman d’une qualité rare, un roman pas comme les autres, tant au point de vue de l’inspiration, que du style.

Le plus frappant, d’abord. Le titre, déjà, qui revient comme l’écho d’une chanson d’enfance, Compagnons de la Marjolaine:

Qu’est-ce qui passe ici si tard,
Compagnons de la Marjolaine ?
Qu’est-ce qui passe ici si tard,
Gai, gai, dessus le quai ?

Le thème central est déjà donné: ce sera celui de l’enfance, lié à celui du vieil âge, et forcément, l’écoulement du temps qui les réunit et les sépare à la fois. Chanson d’enfance? Mais oui, tout le roman en est pénétré, dans sa forme même, par l’alternance assez fréquente de la prose et de la poésie. Une formule peu employée – le seul exemple qui m’en vient à l’esprit remonte au Moyen-Age, c’est la chantefable d’Aucassin et Nicolette.

Ce qu’il y a ici de plus remarquable, c’est l’art subtil avec lequel la prose au vers s’allie: nulle mièvrerie, dans cette poésie, qui commente l’action, tout en faisant avancer le récit. C’est du cousu main, et la couture en est quasi invisible. Ecoutez plutôt (p.9):

Un arbre. / Tu t’arrêtes sous le premier arbre. // Les feuilles les plus basses te touchent la tête. / Tu fermes les yeux. / Tu restes là. / La caresse. / Légère, si légère. // Elle ne crie plus. La corneille ne crie plus. / Tu pourrais rester là et attendre./ Attendre que quelque chose se passe, quelqu’un crie ton nom / Quelqu’un finira par crier ton nom. / Quelqu’un finira pas poser la main sur ton épaule. / Ils seront plusieurs. / Essoufflés d’avoir couru. / Que te diront-ils? / Que tu perds la tête, une fois de plus? / Et toi, que leur diras-tu? / Oseras-tu leur dire quelque chose? / Seront-ils en colère?:/ Les hommes surtout./ Ceux qui te parlent comme si tu étais un enfant. Oui, surtout ceux-là. / « Quand vas-tu te tenir tranquille, à la fin? » / Mais n’es-tu pas un enfant? N’ont-ils pas raison de te parler ainsi?  » / « Qu’est-ce qu’on va faire de toi?  » Tout en faisant non de la tête. / « Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi? »

Sans le savoir, nous sommes déjà arrivés à la fin du livre. Une Longue quête. Sans le sentir, mais nous en avons comme un pressentiment. Le thème? Un vieil homme s’est échappé du home où il est interné. Il était pédiatre, passionné par son métier. Pendant la guerre, il avait accouché la fille du fermier chez qui il travaillait comme prisonnier. Et c’est ainsi que des liens se sont noués, qui vont, au fil du récit, se ramifier, passant de génération en génération, se ramifiant, se diversifiant. Point ici de grandes théories, sur l’hérédité, la survie; ou d’autres choses semblables. Ce n’est qu’un pressentiment, et ce pressentiment nous suffit. Un geste, un mot qui reviennent, un ton de voix, une musique, légère, qui s’effiloche à l’aube; comme une brume au flanc de la forêt.

Non, je ne vais pas vous raconter l’histoire. Restons-en, si vous le voulez bien, au pressentiment, plus qu’au sentiment ou au raisonnement. Et pourtant, tout est réel ici. Mais n’est-ce pas la vie, qui est ainsi, notre vie, qui ressemble plus à un patchwork qu’à une tapisserie bien régulière?

Un roman familial, mais qui ne respecte pas l’ordre chronologique. Les liens secrets entre les personnages y sont beaucoup plus importants. Un air, partout, d’adolescence et de grande jeunesse. Et la poésie, parfois, sera une voix off qui presse de questions le personnage égaré, comme si c’était le destin lui-même qui l’apostrophait. Un récit très souple, très enveloppant, dans lequel viennent s’insérer quelques pièces de grande beauté.

Oui, l’enfance, la jeunesse sont éternelles, et l’âge ne fait rien à l’affaire: il nous reste encore et toujours des choses à faire passer.comme dans un jeu d’enfance, et non un cours ex cathedra. Alors, j’ai bien envie de vous dire, comme dans l’Apocalypse: Prenez le livre, et mangez-le.

Joseph Bodson