Eric Monaux Frèdi èt Simone, récit, 70 pp., El Bourdon, Boulevard Roullier, 1, 6000 Charleroi, 2024.

En 2020, Eric Monaux nous avait gratifiés d’un beau livre de souvenirs sur Beignée, son village et sa famille, « Souv’nances d’in p’tit boutique » Il récidive aujourd’hui avec une œuvre de fiction – ou de semi-fiction, car ses personnages sont remarquablement vivants et proches de l’auteur et des villageois qu’il a connus, de leurs habitudes de vie et de leurs occupations, professionnelles. Ils sont fort bien typés, avec leurs qualités et leurs défauts : bonhommie, goût de la plaisanterie, aspect physique, amour de leur village, de ses vieux chemins et de la pêche…L’enfance n’est jamais loin, les querelles sont vite apaisées, et la bonne humeur ne cesse de régner.
Idéalisation ? Passéisme ? Je ne crois pas. Deux choses me parlent très fort, en ce récit : le nombre important de ces villageois qui ont un métier d’artisan : cordonnier, cloutier, charron, commerçant, et même fabricants de balles au tamis. Ces nombreuses activités, ainsi que la présence, sur le terrain, des divers fonctionnaires, à commencer par le curé, l’instituteur, les facteurs, le garde-champêtre, contribuent fortement à cimenter une certaine cohésion sociale, disons plutôt une sorte de vouloir-vivre-ensemble, avec une bonne dose d’amitié et d’humour.
Ainsi, p.35 : –
« – I pârlint bètch èt queuwe : coureûs a vélo…pidjons…djârdin…toubac’…s’èrpassint leû djon.n.nèsse, tout ç’ qui n’èrvinra pus…
– Siya ! D’é travayi al vèr’riye,…chîs mwès…Nos ‘stins come deûs cints a ç’tins la…Si fét ! dès bocâls, dès platias a tôte, dès flèch’tôs, dès potikèts pou lès fârmacïyes, branmint dès ramasse poûssières èt tout l’ sint tchinis’…Oyi ! Sèréye pou d’ bon, a ç’te eûre…(…) !
– Oyi ! Come Berthe èt sès piles dè sayas an galvanisè al quinquây’rîye d’ Moûrfayt ! Èle n’asteut nin d’in-abôrd ôjîye ! Vos n’avîz nin co m’tu in pîd dins l’ boutiquia qu’èle vos criyeut d’dja : « Èn’ touchèz a rin ! ».
– Èt pwîs i-gn-aveut l’ mârchô, Arthur Demoulin, qu’asteut tout-al boune, èl popa d’ Mârguerite èt d’ Marcèle…avous s’ cindrè an pia d’via… »
– Et l’odeur de la corne brûlée !
– Avez coneû Alfonse Carou èt Julia, qui fyint dès bales a djouwér ?
– Diabe, twè ! On djouweut co al’ bale ô tamis adon, tous l’ dîminces…

Ils parlaient beaucoup. Tout y passait : les champions cyclistes, les concours de pigeons voyageurs, les jardin, le tabac,…ils se rappelaient leur jeunesse, tout ce qui ne reviendra plus…
Oui ? j’ai travaillé à la verrerie…six mois…On était plus ou moins deux cents, à ce temps-là !Si, si !…des bocaux, des plateaux à tarte, des flacons, des fioles de pharmacie, beaucoup de bibelots et tout le saint-fruskin… Eh oui ! aujourd’hui à l’abandon… »

L’énumération continue, sans fin presque…
Seconde caractéristique marquante : le goût pour la nature, les champs, les bois, les animaux, les oiseaux surtout. D’où le regret des vieux chemins que l’on a injustement privatisés, ainsi le chemin du Laury, qui était si cher à Willy Bal, comme le rappelle l’auteur. Et cela nous vaut un bien joli tableau, description d’un simple ruisseau:
« Dès sclats d’ôr djibotint pa t’-tavô. L’eûwe èrglaticheut, èrdjib’leut su lès cayôs, tchapoteut dins lès brous. Come in gad’lot, èle sôt’leut toutes lès-astantches.. Come ène fowène, èle s’èstitcheut dins ‘ne chabote, scafoteut lès stokéyes, scapeut a toutes lès grâwes dè toutes lès racènes. Lontins èle chûveut s’ voye insi, canâye èt tranquîye, sè djouwant dès toutes lès arokes. Pwis d’in côp, èstrapéye dins-in stritchot passâdje, afèrnouyîe p’in court toûrnant, èle sè toûrminteut, groûleut dins lès cayôs, èskèmeut èt djigleut, warèche, èspitant lès bôrds…
Des éclats d’or s’agitaient tout autour. L’eau étincelait, cahotait sur les cailloux, barbotait dans la boue. Comme un chevreau, elle sautait les nombreux petits barrages, ceux qu’aiment construire les enfants. Comme une fouine, elle se glissait dans le tronc d’un vieux tronc, fourgonnait dans les buissons, échappait à toutes les griffes de toutes les racines. Longtemps elle allait ainsi son chemin, canaille et tranquille, se jouant de tous les obstacles. Puis soudain, déconcertée par un étranglement, désemparée par un coude un peu brusque de la rivière, elle s’emportait, grondait dans les cailloux, écumait et giclait rageuse sur la rive… »
Bien sûr, depuis lors, nous avons reçu de, merveilleux cadeaux de Noël : la télévision, le cinéma, l’ordinateur, le GSM, le GPS, les avions…mais n’avons-nous pas laissé, accrochées aux ronces du sentier des découvertes, quelques-unes des plus belles pièces de notre costume ? Bien sûr, on ne peut plus faire marche arrière, mais allons nous continuer à détruire, autour de nous, bien des choses qui rendaient la vie, tout simplement, vivante et souriante, comme la promesse d’un beau matin d’avril ? Une vie fraternelle et familière…
Joseph Bodson