Francis Dannemark, Martha ou la plus grande joie, roman, Le castor astral, 2017.

Francis Dannemark ou l’art de rêver tout éveillé, et de partager des rêves qui étaient en lui sans qu’il s’en doute. Ses titres sont déjà tout un rêve. Ses personnages, aussi légers, aussi transparents que la fin d’un rêve qui n’en finit pas:

Elle a dégagé son épaule gauche pour faire apparaître un cœur.

Un cœur pas plus grands que l’ongle du petit doigt.

Mais en l’observant avec soin, j’ai vu qu’il battait doucement   (page 122)

Même un spécialiste du rêve, comme Henri Bosco, parfois peut paraître un peu lourd à côté de lui. On se réveille trop vite, ou trop tôt, il n’y a pas cette touche légère d’inexistence, ce goût d’un monde juxtaposé, qui est comme un calque du nôtre. Une porte qu’il suffit de pousser. Bref, si F.D. n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Ainsi, à la page 33, le héros va-t-il rencontrer son père dans un rêve. Et toujours la même atmosphère de légèreté, de fantaisie. Et la vieille dame de la page 34, d’une jeunesse incroyable…Il y a chez lui une sorte de tendresse dans les relations humaines, qui colorait déjà La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis, roman qui lui a valu l’an dernier le prix de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

Un goût récurrent pour le cinéma. Un amour qui reste au stade de l’adolescence, parfois. Un goût de trop peu – une trop grande délicatesse? Mais non, on n’est jamais assez délicat.

Ecoutons-le encore:

Le regard de Jeanne est allé se perdre sur ses mains, qu’elle s’est mise à observer comme d’étranges animaux réfugiés sur ses genoux. Martha a demandé si elle pouvait reprendre du thé, il était délicieux. Avant que Jeanne s’en occupe, je me suis levé, j’ai versé ce qu’il restait d’eau ambrée dans nos tasses. Nous avons bu en silence. Et dans ce silence, profitant de l’ouverture de la porte qui donnait sur le jardin, une abeille a introduit sa petite musique d’été. Entre Martha à nouveau absente et Jeanne qui avait fermé les yeux, j’ai songé que j’aurais bien aimé être une abeille. Mais il fallait reconnecter les câbles, faire passer le courant.

Qu’il continue à rêver, le plus longtemps possible, et pour notre plus grand plaisir. Le courant est passé.

Joseph Bodson