001Ginette Michaux, André Sempoux, l’écrit bref : comme givre au soleil, Éditions Luce Wilquin, collection « L’œuvre en lumière », 158 pp, 16 €.

 

C’est un lieu commun de dire que tout se joue dès l’enfance. Mais les lieux communs ne prennent-ils pas naissance dans la vie réelle ?

Le livre que Ginette Michaux consacre à André Sempoux s’ouvre sur la blessure d’enfance de l’écrivain : la mort d’un frère aîné, que ses parents lui ont cachée. Blessure irréversible et traumatique. Mais blessure fondatrice aussi, qu’André Sempoux a lui-même décrite, lors d’une Chaire de poétique à l’UCL, comme « la condition de la création », les mots devenant pour lui des « mots-talismans », salvateurs, porteurs de vie.

Ces mots, Ginette Michaux les explore en suivant l’ordre chronologique des genres qu’aborda, de 1959 à ce jour, celui qui fut, pour de nombreux étudiants (néo-)louvanistes, un guide attentif et éclairé vers la langue et la littérature italiennes. La poésie, d’abord (quatre recueils), rythmant la langue comme une musique où le mot rare côtoie le quotidien, dévoilant un monde fait de noir et de blanc, à la lisière de la mort et de la vie. La nouvelle, ensuite : plus de soixante textes brefs aux schémas narratifs complexes, ciselés d’une écriture rapide, libérée du souci du vraisemblable et apte à dire un réel qui se dérobe. Le roman, enfin – le premier datant de 2003 –, étroitement lié à la relation fils/père ainsi qu’à l’Histoire, celle-ci n’intéressant l’auteur que dans la mesure où elle touche en même temps à l’actuel et à quelque chose d’éternel. Deux titres seulement illustrent le genre romanesque, mais chacun d’eux fit l’objet d’une réécriture, la seconde version étant considérée comme « définitive ».

La pratique de la réécriture est coutumière de Sempoux ; on pourrait même dire qu’elle est son secret de fabrication : tant en prose qu’en poésie, il réécrit, revient sur les mots, réassortit les sons, gomme les liens grammaticaux, resserre la phrase jusqu’au moment où, devenue « écrit bref », la langue est capable de saisir comme en un éclair un moment ou un sentiment. Ainsi condensé par un art subtil du dépouillement, le texte conduit le lecteur « au bord de l’impossible à dire » et lui fait ressentir avec force l’insupportable d’une perte, d’une absence, d’une culpabilité. « Des récits serrés comme une boule de neige où une pierre est cachée, voilà ce à quoi je tends », confie l’auteur.

Professeur de lettres, romaniste de grande culture et fine psychanalyste, Ginette Michaux éclaire l’œuvre de Sempoux par une approche à plusieurs entrées, de Lacan au structuralisme, donnant de nombreux exemples, citant d’autres commentateurs et s’appuyant sur des entretiens avec l’écrivain.

Une bibliographie, des photos et quarante pages d’extraits de textes guideront avec bonheur ceux qui ne le connaissent pas à travers l’univers de ce poète-prosateur… ou de ce prosateur-poète.

                                                                                                                      

                                                                                                        Jean-Pierre Dopagne