Eric Allard, Grande vie et petite mort du poète fourbe, aphorismes, éditions Cactus Inébranlable (2021,10 euros).
Pour faire un bon critique de poètes il faut sans doute avoir une bonne culture générale sous-entendue et savoir la faire comprendre car « j’irai cracher sur vos tongs n’est pas qu’un livre à sandales ». En effet, si « de cette autrice il (j’ai) a lu toutes les quatrièmes de couverture », on peut également se dire qu’il suffirait de ne pas acheter ou acquérir le livre.
On ne critique seulement que ce que l’on aime et chacun reconnaîtra bien quelque petit travers de tel auteur.
Il faut bien sûr connaître convenablement un sujet pour en démêler tous les fils et en faire de petites cordes d’étranglement à rire avec un sujet qui sera partagé, voire apprécié, par ses semblables.
Le tout étant de convaincre, l’auteur disant lui-même que « l’angoisse de la page blanche nous évite bien des œuvres inutiles ».
Il faut, de la même façon éviter de les remplir n’importe comment, Eric nous obligeant, en réalité, à une culture « augmentée » en citant des œuvres, des auteurs et sans doute celles et ceux qu’il connait très bien avec parfois, probablement, même une certaine admiration.
En quelques lignes on passe ainsi d’une évocation d’André Breton à une autre de Proust comme on peut retrouver l’auteur rappelant « les raisins de la colère » de Steinbeck.
Kaléidoscope culturel et mélange des genres. L’approche, proche parfois de la parodie, se veut souriante.
Y passe également le chroniqueur littéraire : « Quand sa pile est à plat, le chroniqueur littéraire cesse de fonctionner, il peut commencer à lire librement ».
Gageons cependant qu’il aura tôt fait de recharger sa pile !
De dialogues brefs, à peine inventés, parsèment cette œuvre multiple entre axiomes, pensées, faux débats et presque faux sujets à débattre puisqu’en général, ma foi, assez évidents, l’intention de l’auteur étant d’en rajouter :

– « C’est vous en quatrième de couverture ?
– C’est moi oui sur la photo
– Il faudra prendre le livre avec
– Quand j’aime une photo d’auteur, je suis prêt à acheter le livre qui va avec
– Voilà qui est rassurant »

L’auteur ne dit-il pas lui-même que « tous les points de vue fictionnels ont droit de vie et de mort sur les faits réels dont ils sont tirés » ?

Le poète « fourbe » serait-il seulement rusé à se sentir bien dans un genre qui lui convient tandis que les petits frottages de manche ne sont pas non plus épargnés :
« Pendant la Saint-Valentin le poète déclare sa flamme à sa lectrice, à son lecteur, à la planète, il adresse des bisous à la cantonade, il pratique l’écriture inclusive, il s’engage pour le climat, il n’a pas assez d’un seul cœur pour tout l’amour du monde. Puis le reste de l’année, il déteste tout ».
Eric a suffisamment d’amis poètes proches pour avoir un avis juste et les traiter avec son humour personnel et une certaine empathie.
Et parfois sans doute aussi, avec une certaine délectation, s’observe-t-il lui-même dans le miroir :
« A la fin du moi, je verse dans l’autofiction ».
L’auteur appréciera sans doute, avec ceci, le grand Voltaire : « J’aime les fables des philosophes, je ris de celles des enfants et je hais celles des imposteurs » (ex l’Ingénu, XI de 1767).

Patrick Devaux