Jean-Hubert Mabille, La petite fille à la balançoire, roman, éditions du Panthéon, 2019

Un roman qui se détache nettement des précédentes productions de l’auteur: une intrigue beaucoup plus claire, attachante et passionnante, moins de digressions, et surtout moins de ces jeux de mots qui retenaient indûment l’attention. De quoi rendre un critique heureux, comme il le note quelque part.

Un roman nettement influencé, comme il le signale, par Bernanos, et par l’héroïne de Sous le soleil de Satan, la petite Mouchette. En dehors du problème moral, c’est presque une fresque qu’il nous livre ici, tant chacun des personnages de cette biographie moitié paysanne, moitié citadine, est fermement dessiné, et fortement individualisé. L’histoire de cette époque où se passe le roman est elle aussi fort bien décrite: même si les personnes d’un certain âge en ont gardé un souvenir vivace, les jeunes ont du mal à imaginer les conditions de vie et surtout les mentalités des années 1950 et suivantes. C’est donc l’histoire de toute une famille, toute une smala, pourrait-on dire, mais surtout l’évolution sentimentale d’une  jeune fille qui, disons-le ainsi, aura, du moins au début, rencontré la mauvais chance plutôt que la bonne.

L’auteur est réellement doué pour faire vivre les scènes d’action, pour inventer des dialogues, et c’est dans ce sens, me semble-t-il, qu’il doit se diriger, plutôt que vers des dissertations philosophiques: celles-ci se dégageront elles-mêmes du contexte.

Mais je ne vais pas le laisser sans vous donner un avant-goût de l’histoire, à la page 81: Rien ne s’est passé comme elle l’imaginait, une aurore, un chant, un arc-en-ciel, une pluie d’étoiles. Le fiasco total. Elle voudrait s’enfouir sous terre. Elle aurait dû rebrousser chemin ou marcher à reculons, les yeux fixés sur ce lieu de perdition qu’elle aurait défié et vaincu, en s’éloignant.. Les images les plus invraisemblables lui traversent la tête. Elle est doublement humiliée, dans sa chair et dans son âme, une boule dans le ventre. une déchirure dans ses sentiments.. Elle prend le chemin du retour, courbée, courbatue, flageolante, titubante, décomposée, hallucinée; sa blouse souillée, sa jupe ensanglantée qui va la trahir.

Joseph Bodson