Jean-Pierre Dumont, Ayîr, oûy, dimin, dispôy lès viyèdjes disqu’ås pus hôtès scoles, suivi de Thomas Gaspar, Après l’ guère o l’Ardène, èt tuzèdjes so l’ vikant, Musée de la Parole en Ardenne, 2022, 15 €, 168 pp.

S’il est parfois des livres écrits à quatre mains il est plus rare que deux auteurs publient des productions distinctes sous la même couverture. Disons tout de suite que c’est une belle réussite. Jean-Pierre Dumont, enseignant retraité, et Thomas Gaspar, docteur en sciences botaniques, enseignant retraité lui aussi, se sont rencontrés lors d’une conférence autour d’un livre en wallon. Ils partagent le même amour pour leur région, Condroz et Ardenne, la même passion pour la survie de leur langue, le wallon.

Parce que c’était lui, parce que c’était moi, disait déjà Montaigne à propos de La Boétie. Ici aussi, nous voici en présence de deux caractères, de deux tempéraments très différents. Deux talents aussi fort distincts, et c’est ce qui fait la richesse et la beauté de ce livre. Jean-Pierre Dumont, tout en vif-argent, passionné par la nature (encore un point commun), par la beauté de nos forêts et de nos terres, et Thomas Gaspar, plus pondéré peut-être, mais tout aussi engagé, en est arrivé, lui, à se forger une philosophie de la vie axée sur l’attention aux autres, sur les aléas de la vie en commun qui fut celle de nos villages (j’emploie à regret le passé simple plutôt que le présent compliqué ou le futur aléatoire). La vieillesse en elle-même l’intéresse, évolution d’un être, évolution de tous les vivants, et non la vieillesse à l’image et aux poncifs  indélébiles.

Et leurs oeuvres? J’avais déjà eu l’occasion de lire Jean-Pierre Dumont. Les morceaux choisis repris ici valent par leur vivacité, leur originalité. C’est plein de vigueur, d’alacrité, non sans parfois une certaine hargne et une pugnacité sans faiblesse. Il s’étonnera ainsi que la Vierge de Banneux s’exprime en français plutôt qu’en wallon (p.10), il ne cache pas son goût pour la chasse, le spectacle des jeux d’argent dans les cabarets (p.18). Ainsi dira-t-il de la chasse, p.22:  Li pus vî mèstî d’ l’ome. Mais, comme pour les vrais chasseurs, le spectacle de la nature, la paix de la nature, font partie intégrante de ce plaisir: Ine longue hapéye di påhulisté, tot seû d’vins mès sondjerèyes, avou di tins-in-tins l’ clokî di l’èglîse di H…qui sona âs eûres: une seule phrase, quelques mots à peine, et c’est toute une ambiance qui nous est rendue.

Mais c’est dans la longue nouvelle L’après d’avance, p.45, que son talent est le plus évident. Nouvelle, presque un petit roman. il a le sens du drame, sait en exprimer toute la vivacité, et mettre en parallèle les évocations de la mort, du paysage comme des hommes, avec celles de la vie dans ce qu’elle a de plus fort, de plus évident: les scènes d’amour sont de belles réussites. Un style direct, incisif, qui ne recule pas devant les mots sans pour autant en abuser. Souhaitons lui de persévérer dans cette voie…

Quant à Thomas Gaspar, il y a dans ses textes, à côté de réflexions, maximes et anecdotes, nous l’avons dit en commençant, une approche très vivace  de la mentalité paysanne, de nos villages, et des vieux qui les hantent Cela me remet en mémoire l’une des phrases favorites d’un vieil oncle, maçon de quatre-vingts ans qui travaillait toujours: Vî ôme,  dji vous bin, mins vièyârd, ça jamés! L‘Arbrefontaine de Thomas Gaspar est très peuplé de vieux hommes et de vieilles femmes, conscients de leur état, mais bien décidés à vivre pleinement le temps qui leur reste. Il y a là une ardeur, et une tendresse que l’on rencontre rarement, chez certains auteurs siciliens, par exemple. tels qu’Elio Vittorini.

Et il y a dans cette brève histoire,  Li p’tit crawé dès djônes tchins èt li p’tit gamin tot stroupi, une telle tendresse – je me répète -, un tel amour de la vie que les plus endurcis de nos vieux s’y laisseront prendre.

C’est sur ces quelques mots de Thomas Gaspar que j’aimerais terminer cette chronique: Vivons-è a « vikant ». Si v’ dimandez a ‘ne sakî çou qui fêt l’ difèrence inte ine sakwè qui vike èt ine pîre ou on tchandl’eû, i v’ rèsprondrès: « Ine bièsse, pitite ou grosse, ça bodje, ça magne, ça grossihe, ça fêt dès djonnes… » (…) Bodjî, crèhe,, si r’djèter parèy a lu, vola bin ine sakwè d’å vikant qu’on n’ritrov’reût nin d’vins lès pîres, èt èco! (Si vous demandez à quelqu’un  ce qui fait la différence entre quelque chose qui vit et une pierre ou un chandelier,, il vous répondra: « une bête, petite ou grosse, ça bouge, ça mange, ça grossit, ça fait des jeunes… » (…) Bouger, grandir, se reproduire (faire des rejets) en pareil à soi, voilà bien quelque chose du vivant que l’on ne retrouverait pas dans les pierres, et encore!)

Voilà bien tout ce qui fait notre noblesse et notre tristesse, à nous autres les hommes.

Joseph Bodson