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Jofroi, De Champs la rivière à Cabiac sur terre, Saint-Privat de Champelos, éd. du Soleil, 2013, 280 p.

Bon an mal an, Jofroi poursuit avec le même enthousiasme une carrière qui n’a que faire des artifices de la télé et des médias tapageurs. Depuis la fin des années 60, il n’arrête pas d’investir les scènes, d’arpenter les territoires, chantant tantôt pour les enfants, tantôt pour les parents, presque toujours pour les deux. Avec ce livre, il fait le point, se raconte, rassemble la quasi totalité de ses chansons et des textes de ses spectacles. 

Né à Ath en 1949, élevé à Brugelette, il se lance dans la chanson en 1969. C’est alors qu’il rencontre à Tournai Félix Leclerc qui l’encourage. Et, depuis, tout continue. Il connaissait à cette époque Brel, Bécaud, Stéphane Golmann, Aufray, Dylan, Ray Charles… Il croise les Belges qui tentent de se faire connaître dans un pays qui (sauf via Angèle Guller ou, à la RTB, Bernard Gillain), les promotionne peu : Ann Gaytan, Bruno Brel, André Bialek et Beaucarne. Son premier spectacle bruxellois, il le fait en ‘vedette américaine’ (comme on disait naguère des artistes qui chantaient avant l’artiste principal d’un concert) de François Béranger. Il fera de même quelque temps après avec Julien Clerc et Barbara… et ultérieurement Gilles Vigneault. 

Installé en Ardennes, puis dans la botte du Hainaut et le Namurois (même un temps à Bruxelles) un peu « berger intellectuel », il appartient à cette vague de l’époque qui pousse les gens à retrouver leurs racines. Il la prolongera en allant plus tard s’installer définitivement à Cabiac en 1994, région où il organisera avec sa femme Anne-Marie un festival annuel « Chansons de Parole ». Sa vie se dit en anecdotes et souvenirs en marge des textes de ses  chants. C’est un homme engagé mais dont les couplets ne sont jamais agressifs ou doctrinaires. Il a d’ailleurs participé à plusieurs manifestations et actions en faveur de l’écologie. 

Couplets et refrains jalonnent son parcours, disent une société qui évolue tant mal que bien, prônent tendresse et sensualité, défendent la démocratie et la nature, se penchent sur la misère sociale et l’exclusion, militent pour la fraternité et l’équité. Ils mettent parfois en musique des portraits émouvants ou caustiques : celui du père, des copains d’enfance près de la Dendre, du paysan attaché à la terre, de musiciens, des chasseurs malappris, du populiste politicien… Un certain nombre évoque la difficulté à dire, à exprimer le fond de son vécu et à dialoguer avec l’autre. Au fil des jours sont évoquées les saisons. Et surtout, il y a les convictions de l’espoir d’un monde meilleur où « Jésus, Marx, Mahomet / Fumeront le calumet ». 

Par intermittences, il y eut les spectacles pour enfants. Ce que Jofroi nomme « conte musical, ce mélange entre l’histoire, la théâtralité et la chanson ». D’abord « Le petit sachem », puis « Le rêve d’Antonin », « Grenadine Blues » , « Le jour où les poules auront des dents», « Marchand d’histoires », « L’homme au parapluie ». Ce qui n’a pas empêché les récitals pour adultes de se poursuivre. Ils sont nourris d’expériences de vie mais aussi des lectures capitales faites au fil des ans : Henri Laborit, Albert Jacquard, Jean-Pierre Chabrol, Garcia Marquez… Un parcours obstiné, convaincu, convainquant. Dont il est possible d’écouter l’essentiel à travers trois CD « Survol » qui reprennent les chansons des débuts à 1984 et deux autres « Les plus belles chansons de Jofroi pour les enfants ». 

Michel Voiturier