Laurent Brück, Liège années 1950, Le paysage urbain et son évolution en 300 photographies d’époque, éditions de la Province de Liège, 330 pages, 39  €

Un ouvrage très fouillé, qui devrait toucher tout autant les amoureux du vieux Liège – même si la nostalgie n’est plus tout à fait ce qu’elle était, – que les architectes, les sociologues, les politiciens, et tout simplement les habitants de la ville, qui ont tout intérêt à s’intéresser à son passé s’ils veulent connaître un peu de son avenir.

En effet, cette décennie des années 50 s’est révélée cruciale pour les Liégeois, et à plus d’un titre. Les édiles communaux, les architectes, les promoteurs immobiliers se sont trouvés aux prises avec plusieurs problèmes cruciaux, que Liège partageait d’ailleurs avec d’autres grandes villes belges. Tout d’abord, les bombardements des V1 allemands en 1944 ont causé des dégâts importants: des églises, des couvents, d’autres sites historiques, des quartiers d’habitations ont été soufflés par leur impact. Sur les photos qui nous sont présentées, et qui datent toutes de l’époque, on, peut mieux mesurer l’ampleur du désastre. Mais à quelque chose malheur est bon: le vide ainsi créé a permis, dans certains cas, de réaliser certains plans qui requéraient de l’espace, au Musée de la Vie wallonne, par exemple, ou le rénovation de certains quartiers devenus insalubres. D’autre part, ce que l’on peut appeler le triomphe de la circulation automobile a rendu bien des artères trop étroites, et l’on a été obligé d’inventer des emplacements de parking. Le problème est exactement inverse de celui auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. On ne se doutait guère à l’époque des  pics de pollution qui allaient se dessiner, ni de la croissance exponentielle des accidents de la route. Cruciale, la croissance tout aussi exponentielle du trafic routier, que ce soit à des fins industrielles ou privées. Les transports en commun allaient se trouver réduits à la porion congrue, des gares même, Vivegnis et Liège-Longdoz seraient supprimées.Le trafic ferroviaire entre Liège et Maastricht, par exemple, serait fort réduit. Et puis, un vrai casse-tête: une autoroute qui contourne la ville, par les hauteurs, ou bien qui la traverse en souterrain? Les solutions envisagées seront nombreuses, et conditionneront pour une bonne part l’avenir du bâti.

Les photos  nous montrent également un bon nombre de terrils dans la périphérie immédiate de la ville. La cessation des activités charbonnières amènera elle aussi la récupération de surfaces industrielles importantes. De plus, lors de la « bataille du charbon », de nombreux migrants italiens étaient venus  s’installer chez nous. On les logea, vaille que vaille, dans les baraquements de prisonniers, recouverts de tôle goudronnée, récupérés après la guerre. Il devenait urgent de procurer à ces gens des habitations décentes. D’autres vides furent créés par la disparition d’activités obsolètes ou déplacées: les usines à gaz, l’usine Chimeuse de Sclessin, les pneus Englebert, l’usine Cuivre et Zinc, bien d’autres encore. En ce temps-là, les quais de la ville avaient aussi leurs activités fluviales propres, avant que le port de Liège ne se retrouve centralisé à l’île Moncin.. De plus, le centre des grandes villes avait tendance à perdre ses habitants, tentés davantage par la périphérie. L’auteur reconnaît que certains des habitants expropriés de logis trop étroits ou insalubres auraient cependant préférer les conserver plutôt que de migrer vers des immeubles à étages multiples. La ville prit cependant l’initiative de créer bon nombre de locaux de rencontre pour personnes âgées et de jardins publics.

Les bureaux d’architecture, les services de la ville, la Maison liégeoise eurent donc fort à faire, et certains quartiers se trouvèrent ainsi profondément modifiés: les quais de Meuse, Droixhe, certains quartiers d’Outre-Meuse se couvrirent ainsi d’immeubles aux étages nombreux, tandis que sur les hauteurs où se trouvaient les charbonnages, ce fur plutôt la formule des cités-jardins qui eu la préférence..

Bien sûr, rien n’est parfait, en matière d’urbanisme plus encore que dans d’autres domaines, et les critiques sont faciles, qu’elles partent des nostalgiques du bon vieux temps ou des aspirations écologiques.. Mais n’oublions pas que les responsables de l’époque se sont trouvés placés devant des problèmes qui demandaient des solutions rapides, et qu’en ces années, le souci écologique était encore embryonnaire. Il est assez significatif, par exemple, que de petites impasses, au pied de la Citadelle, qui étaient habitées par des ménages à petit revenu sont devenues des emplacements très recherchés.

Nous ne pourrons, en conclusion, que dire avec Baudelaire: La forme d’une ville change plus vite, hélas que le coeur des mortels. Et nous ajouterons simplement que la nostalgie ne doit pas prendre le pas sur l’avenir d’une ville…

Et remercier l’auteur, ainsi que ses collaborateurs, de ce remarquable ouvrage. Un système ingénieux permet de situer rapidement les photos sur las cartes de la ville reprises dans l’ouvrage. La documentation photographique, quant à elle, a été rassemblée d’abord à partir du riche fonds des r(elevés pgotographiques du département de l’Urbanisme de la ville de Liège, mais aussi de la Maison liégeoise, et de sources privées. Elle est d’une grande richesse. De plus, le style est clair et sobre, il évite avec raison les grandes envolées et les développements excessifs.

Joseph Bodson