Abysse de Leïla Zerhouni   poèmes éditions Bleu d’encre (2021, 12 euros).

D’entrée en matière il y a le rappel en exergue du poète Achille Chavée, l’auteure se sentant d’emblée louve de La Louvière au temps des souvenirs de la narratrice où les petits évènements de l’adolescence, en les rappelant, remontent l’horloge du temps : « J’ai frappé à la porte comme j’avais l’habitude de le faire autrefois. Elle a ouvert et m’a tout de suite reconnue ; j’étais l’amie des jours heureux, l’amie d’avant la chute dans le puits du destin », un drame presque pressenti aussitôt se révélant évènement progressivement sous-jacent.

Les textes mêlent prose narrative et poésie : « Se poser et oublier/ Comme l’eau lave la jetée/ Se poser et oublier/ Pour une nouvelle portée ».

Rappel très belge de la provinciale découvrant Bruxelles avec le bonheur passé d’une amitié, à ce moment-là, comblée :

« Dans le métro, on était turbulentes et enjouées. Les gens enviaient notre insolente bonne humeur. C’était la fête, paillettes et fanfare au soleil ! ».

Il y a également le rappel de La Louvière d’une époque pas si lointaine : « A La Louvière, ils avaient été autrefois regroupés dans un village ouvrier sur le site minier du Bois-Du-Duc ou encore à la Cantine des Italiens. A l’instar des femmes décrites par Virginia Woolf au début du 20ème siècle, ces immigrés aux vaines illusions et aux poches remplies de soleil disposaient rarement d’une chambre pour eux, d’un espace privé où s’épanouir ».

La pensée de l’auteure développe ainsi sa narration entre aphorismes de Chavée lui-même et évocation des éditions « le Daily Bul ».

Ensuite, entre Ana et Lydia, les deux amies (c’est Ana la narratrice) s’immisce une progressive et prenante relation amoureuse impliquant Lydia et Joss , celle-ci n’étant pas vraiment envisagée sous un angle positif : « La bête s’est installée insidieusement, sans faire trop de bruit. J’ai toujours en tête l’histoire de cette pauvre grenouille qui s’accoutume peu à peu à la chaleur de la casserole dans laquelle elle baigne ».

Ensuite…le drame…pressenti par le sous-titre « Le Cri » et cet exergue repris de Chavée : « Tomber dans le trou de sa vie ». Et de rappeler aussi ces quelques vers de Pablo Neruda : « L’amour est si court, l’oubli si long ».

Le récit s’achève avec l’apaisement de la douleur ressenti au splendide  Parc de Mariemont devenant ainsi peut-être une sorte de couverture végétale bienfaitrice pour l’abysse vécu.

Patrick Devaux