Marc Quaghebeur, Labiales, Strasbourg, Les Lieux dits , 2024, 66 p. (15€)
Un ballotin de cartes postales
Lorsqu’on reçoit un ballotin de pralines, dès qu’il est ouvert, l’envie nous prend de tout goûter. Le récent recueil de Quaghebeur, « Labiales », appartient à la même espèce. La bonne centaine de textes brefs qui le composent provoquent un effet similaire. Qui les lirait à la suite risquerait néanmoins un encombrement digestif. Mieux vaut, par conséquent, les considérer comme des cartes postales atterrissant dans notre boîte à lettres au hasard des jours de distribution du courrier. Chacune comportant une humeur, une observation décodée ou décalée, une incitation à la réflexion, de fréquentes bribes manifestement plus personnalisées.
Que racontent- elles donc ? Il y a celles consacrées à l’intime de l’autobiographie, liées à un vécu familial, amical, sentimental ou professionnel. Il y a des événements ponctuels de type faits divers familiers, d’autres plus politiques ou historiques. Il y a les allusions à des phénomènes suscités par l’éphémère des modes ou d’instants vécus et ressentis. Quelques-unes se penchent sur le tellement inévitable qu’est le passage du temps et son aboutissement à la mort au point que le titre d’un des brefs textes à son propos s’intitule L’horizon. Çà ou là affleure la nostalgie. Certains portraits sont caustiques, d’autres soulignent des caprices de destin. Des condensés célèbrent la sexualité ; quelques-uns voisins des haïkus japonais évoquent des saisons.
Le matériau d’un écrivain, ce sont les mots dont il convient ici qu’on « en décrypte les innombrables sens » qui peuvent surgir « de la moindre variation de tonalité ». Car, s’il arrive qu’il y ait un aspect narratif, pas mal d’entre eux se parent du pouvoir poétique de ceux qui, à travers la suggestion de non-dits, prennent une part d’ambigüité, de flou sensuel ou émotionnel.
Aucune prétention cependant à ‘faire’ de la littérature. La sobriété va parfois jusqu’au dépouillement, jusqu’à l’énigme aussi. Le plus souvent, c’est l’ellipse qui domine soit dans la syntaxe, soit dans l’espace ou le temps comme le cinéma en est coutumier. Ce qui n’interdit pas quelques trouvailles réjouissantes d’association entre vocables : « Son corps a la perfection du destin » ou « Un sourire plisse la lumière » ou « L’air est poreux ». On épinglera encore « un cancer tachiste », « son regard latéral », « le quartier est un peu bancal », « des régiments de maïs », « des flashes picotent le bras de la plage », « une violence de râpe », « la grille est nonchalante »…
Voici donc un livre dont on a envie de dire, comme en gastronomie à ses gourmets : Bonne dégustation ! ou comme en tourisme à ses vacanciers : Bon voyage !
Michel Voiturier